Lapine Lazuli et l'Abîme Azur

Une poème sur une petite lapine qui rêve d'explorer les profondeurs, inspiré par l'image ci-dessous. C'est ma première œuvre en français, sans compter quelques petites strophes.

Peinture d'un lapin assis sur un carré d'herbe dans une étoile en verre flottant sous l'eau et entourée de poissons.
"Star Terrarium" de Yuumei

Elle se nommait Lazuli, cette p'tite lapine-là
Qui habitait un joli mas auprès d'une mer
Et rêvait d'explorer un jour les profondeurs.
Tous les jours elle brossait sa robe blanche en douceur,
Cueillant la laine sous les mûriers et conifères,
Et tous ses voisins s'disaient que « Cette maligne a
d'la veine, elle vit assurément sa meilleure vie. »

Pourtant, à chaque fois qu'elle longeait la rive fleurie
Pour vendre en ville sa laine angora de cherté,
Elle s'arrêtait un bon moment pour songer aux
Poissons élégants qui folâtraient sous les flots
Et tous les mystères qui lui y étaient cachés.
Elle se languissait d' voir les abysses et leur nuit
Sans étoiles ni lune avec ses propres yeux bleus.

Parfois, pour vaincre ses sentiments cafardeux,
Elle plongeait dans les vagues et nageait de bon gré,
Mais sitôt qu'elle se submergeait dans l'onde bleu ciel
Elle perdait vite le souffle et sentait un feu tel
Que l'Enfer dans sa poitrine; elle laissait tomber
Sa tentative et partait, cœur plus malheureux
Qu'avant, mais jamais elle n'abandonnait son rêve.

Un jour d'automne où les arbres étaient à bout d'sève
Et leurs feuilles marrons se faisaient danser dans l'air
Par la tramontane, la p'tite, cherchant un abri
Contre le vent dans une boutique, se sentait ravie
D' voir qu'il s'agit de l'atelier d'un souffleur d'verre.
« Il faut absolument que j'apprenne, marche ou crève,
À faire des jolis bocaux comme ceux-là » fit elle.

Dans des bocaux nageaient des aiguillettes si belles
Et des dragonnets d'une multitude de couleurs.
« Quelle bonne fortune, le souffleur allègre lui dit
« J'ai besoin d'un apprenti pour faire ma chimie. »
La p'tite commençait sans hésitation ou peur
À mélanger et faire fondre le sable couleur miel
Pour souffler son propre premier bocal à poissons.

Au bout d'un an elle maîtrisait le bocal rond,
Cubique, polyèdre et toutes les autres formes en plus.
Elle pensait : « le p'tit dodécaèdre étoilé
Est mon préféré, il sera sûrement la clé.
Mon Dieu ! Que j'ai les yeux rouges comme un lapin russe
Et le chemin vers le succès, je le crois long,
Mais au bout du tunnel il y aura mon chef-d'œuvre. »

Elle pensait « J'aimerais avoir huit bras comme les pieuvres »
Mais au bout des mois de prototypes et de tests
Elle avait enfin perfectionné son étoile
En verre comme un petit bateau sans rames ni voiles.
Elle avait besoin d'une toile pour porter le lest
Mais pour cela, elle devrait avaler une couleuvre
En rendant visite à l'araignée de la haie.

Cherchant la meilleure tisseuse elle se renseignait
Chez l'argiope frelon qui habitait la bruyère
Derrière son mas. Son petit cœur frémissant
Faisait un bond en voyant l'arachnide tissant,
Mais celui-ci l'accueillait: « Pour calmer ses nerfs
Il n'y a guère qu'une p'tite tasse chaude de thé japonais.
Entre, je t'en prie, et dis-moi ce dont t'as besoin. »

Avec l'aide de l'argiope, l'idée qui avait point
A été réalisée: un plomb suspendu,
Un harnais pour les poissons-chats qui va tirer,
Et des mouches grasses et juteuses pour les attirer.
Afin que l'air soit renouv'lé, bien entendu,
Elle plantait des fleurs dans tous les coins et recoins
De l'étoile, comme un p'tit Élysée sous-marin.

Parmi des plongeons catmarins, sternes pierregarins,
Et bien d'autres spectateurs de l'étang, elle montait
À bord de l'étoile de mer en verre à douze branches.
Cette journée était bien à marquer d'une pierre blanche.
Elle dispersait les mouches dans l'eau puis attelait —
Aidé par une bande rude de canards mandarins —
Les poissons-chats qui s' précipitaient vers l'appât.

Les poissons de trait prenaient exemple — quel branle-bas —
L'un sur l'autre, à chaque fois qu'elle pointait une lumière
À travers l'une des douze pointes de l'étoile marine.
De cette manière elle dirigeait, comme une tsarine,
Aisément la bande tirant son navire en verre.
Le tableau lui faisait penser aux marais gâts
Alors qu'elle s'enfonçait de plus en plus profond.

« On a presque l'impression que tous mes problèmes font
Demi-tour plus je m'éloigne du ciel gris » elle rit.
D'ici peu elle s'était si bien amariné
Qu'elle s'imaginait déjà en Nouvelle-Guinée
Parmi les poissons-perroquets et oiselleries
Y trouvant un ami rusé mais bon au fond,
Digne d'une reine des pirates, une hase de mer fameuse.

Ainsi commença son aventure valeureuse
Des sept mers et toutes leurs profondeurs et détours,
Et si je ne me trompe pas, elle navigue toujours,
Buvant et chantant avec les gaies bêtes squameuses.