Le Drac
Le Drac is a play by George Sand first published in 1861. Below I've included the French version as it appeared in the collection Théatre de Nohant from 1865, as well as my own translation into English.
As Sand notes in the intro, this version of the drac is not the one that is generally told in Provence, but merely inspired by it.
Disclaimer: While my French is improving, I will not claim that it is perfect. This translation is part of my effort to learn, and errors may happen. I welcome corrections and insights that might help me improve. You can contact me at sebastian@stveje.dk.

Table of Contents
Le Drac
Réverie Fantastique en Trois Actes
Par George Sand, 1865
À M. Alexandre Dumas Fils
L'élément fantastique est encore une des faces de l'esprit populaire, et il n'est pas besoin de remonter avec Charles Nodier au moyen âge pour saisir par ses beaux cheveux flottants le lutin de la prairie, de la montagne ou de la chaumière. On le rencontre encore à chaque pas chez toutes les nations de l'Europe, dans toutes les provinces de France et sur tous nos rivages de l'Océan et de la Méditerranée. Il se plaît surtout dans des sites étranges et terribles, chez des populations qui ne semblent pouvoir réagir que par l'imagination contre la rude misère de leur vie matérielle ; kobold en Suède, korigan en Bretagne, follet en Berry, orco à Venise, il s'appelle le drac en Provence. Il en est à peu près de même d'un autre esprit, plus fâcheux et plus sinistre, qu'en tout pays on appelle le double.
Un jour qu'un garde-côte m'avait parlé de ces lutins en esprit fort qu'il était, lui, et que sans s'en douter il m'avait rappelé la légende d'Argaïl, dont Trilby est le poëme charmant, je voulus voir le lieu hanté par les dracs, et, des hauteurs du cap ***, je descendis dans une des nombreuses petites anses que formait la dentelure des falaises à pic. Le décor était splendide, et le sujet me fit penser à un opéra ou à un mélodrame à grand spectacle ; mais, bientôt gagné par le spectacle autrement grand de la mer agitée, j'oubliai tout ce qui n'était pas elle, et, dans un de ces rêves dont on n'a, Dieu merci, à rendre compte à personne, je me représentai le monde impalpable qui doit peupler l'immensité inconnue. Vous avez bien quelquefois goûté, sous une forme quelconque, ce plaisir de supposer qui arrive presque à être le plaisir de croire.
Aucun sentier ne m'avait amené dans la cachette fermée par la mer, où le sable blanc et chaud, vierge de toute empreinte, m'invitait à divaguer. Il semblait, à voir le rocher autour de moi, qu'il fût impossible de le remonter et à coup sûr aucune barque ne se fût risquée à venir me chercher là.
Figurez-vous une forêt à perte de vue de roches plantées dans la mer. Ces écueils innombrables et présentant les formes les plus inouïes n'étaient pas des fragments écroulés de la montagne, mais des blocs surmontés d'aiguilles formant le sommet d'autres montagnes submergées. L'eau brillante, d'un bleu presque noir, détachait vigoureusement en gris blafard cette foule, cette armée de spectres livides imprégnés de sel, et l'ardent soleil qui les blanchissait encore jetait sur ces apparitions je ne sais quelle effrayante gaieté. Nul être humain ne pouvait sans grand danger parcourir ce réseau d'écueils inextricables, et nul être terrestre ne pouvait y vivre. Pas un brin d'herbe, pas un lichen, pas même un débris de plante marine sur ces îlots, et pourtant cela était beau et rempli de l'attrait du vertige. L'esprit s'élançait irrésistiblement de roche en roche ; il s'enivrait de la profondeur de ces racines puissantes de la montagne sous-marine ; il s'abondonnait aux curiosités de l'inaccessible ; il voulait planer sur tout, plonger dans tout ; il vivait d'une vie terrible et folle.
L'esprit de l'homme a cet instinct de conquête irréalisable ; il peut rêver des délices dans la possession d'un monde qui refuse au corps les conditions de la vie, et ce monde merveilleux des abîmes n'aurait pour hôtes que des muets et des aveugles, les poissons et les coquillages ! Je ne voulais pas, je ne pouvais pas le croire… Mais je vous fais grâce de cette divagation, qui n'a de charme que quand on en perd soi-même le commencement et la fin. Je vous raconte seulement où et comment m'est venue confusément l'idée de faire agir et parler un de ces esprits dont j'enviais la vie mystérieuse et l'ineffable liberté.
Et, en quittant ces menhirs naturels, ce Carnac maritime, je voyais les pécheurs amarrer leurs barques et réparer leurs agrès d'un air absorbé. Ils n'entendaient pas un mot de français, et ne se parlaient pas non plus entre eux dans leur dialecte. Sombres et rêveurs, ils semblaient écouter les menaces ou les promesses des esprits de la plage ; mais, quand ils remontèrent vers leurs cabanes, pittoresquemment semées le long de l'abîme, ils échangèrent avec animation des paroles bruyantes, comme s'ils se félicitaient d'avoir échappé aux embûches des mauvais génies. Leurs voix se perdirent dans l'éloignement, la mer continua son éternel monologue, et je restai à l'écouter, en proie à cette fascination à la fois pénible et délicieuse qu'elle exerce et qu'elle n'explique pas.
Je pensais bien ne jamais avoir à noter ces impressions fugitives, au milieu de tant d'autres plus faciles à définir ; mais le hasard m'en fit retrouver quelque chose, un des jours du mois dernier, en essayant d'écrire une légende dialoguée pour quatre personnages de notre connaissance. Le drac oublié m'apparut comme dans un rêve, et je ne voulus pas reculer devant le contraste d'un fantastique échevelé et d'une réalité un peu brutale. Ce n'était pas l'histoire qu'on m'avait racontée, mais c'était l'image flottante dont j'avais vu le cadre saisissant. J'entendais passer les voix rauques des bateliers au milieu du chant ininterrompu de la mer harmonieuse. Je revoyais ces hommes rudes et incultes dont l'esprit conserve des poésies étranges, et j'écrivis sans crainte et sans scrupule une rêverie qui ne devait être soumise à aucune critique officielle.
Une mise en scène gracieuse, un joli décor et quatre interprètes intelligents et confiants ont donné un corps à cette fantaisie dépourvue de toute prétention à la couleur locale et à la forme dramatique. Vous êtes venu, et vous avez aimé cette manière de raconter et de figurer un rêve devant une réunion de famille, à peu près comme on le raconterait soi-même au coin du feu. J'ose donc la publier, et je la mets sous la sauvegarde de votre indulgence en vous la dédiant, non pas comme à l'auteur de ces fortes et savantes études dramatiques de la vie humaine qui parlent à la raison et à la logique autant qu'à l'esprit et au cœur, mais comme à un excellent ami dont le sens artiste admet et comprend sans pédantisme toutes les libertés de l'art.
George Sand.
Nohant, septembre 1861.
Le Drac
Personnages
- Le Drac.
- Bernard.
- André.
- Francine, fille d'André.
La scène se passe dans la maison d'André, qui est pêcheur à la côte. La maison est élevée sur une falaise. Une grande porte ouverte sur des rochers à pic ; au fond, la mer et des rives escarpées. Fenêtre et cheminée à droite ; à gauche, la porte de la chambre de Francine et un escalier intérieur qui mène à la montagne. Il fait encore jour. Il y a une image de la Vierge. Des filets, un miroir, divers engins de pêche et des armes sont suspendus à la muraille.
Acte Premier
Scène Première
André, Francine.
André regarde par la fenêtre avec une lunette d'approche. Francine épluche des noisettes qu'elle tire d'un petit panier et place sur une assiette.
Francine. Penchez-vous donc pas tant que ça à la fenêtre, mon père ! Si vous tombiez !
André. Ah, dame ! si je tombais, j'irais tout droit à cinq cents pieds dans la mer !
Francine. Oh ! ça fait peur à penser[A] !
André. Eh bien, quand je tomberais, qu'est-ce que ça te ferait, à toi ?
Francine. Oh ! pouvez-vous dire ça ?
André. Une fille qui s'ennuie à la maison !
Francine. Ça n'est pas.
André. Qui pleure toujours !
Francine. Vous ne me voyez jamais pleurer.
André. Qui regrette un pas grand'chose !
Francine. C'est vous qui m'en parlez.
André. Allons, tais-toi !
Francine. Je ne dis rien de mal.
André. Tais-toi, je te dis ! Quand je parle, je ne veux pas qu'on me réponde. Quelle heure qu'il est ?
Francine. Cinq heures.
André. Comme le temps est noir ! On dirait que le soleil est couché. (Il reprend sa lunette.) Sais-tu que je ne la vois pas du tout, la barque ?
Francine. Laissez-moi regarder.
André. Bah ! les femmes, ça ne voit rien dans les lunettes de marin. Faut savoir regarder là dedans.
Francine. Eh bien, avec mes yeux, je vois encore mieux qu'avec vos lunettes ; je vois les barques qui sont en mer, et je vous dis que la nôtre ne s'y trouve point.
André. Alors où est donc Nicolas ? La mer a été mauvaise aujourd'hui. Il y a eu une damnée saute de vent !
Francine. Il est peut-être là tout près, derrière les récifs.
André. Pourquoi qu'il va par là ? C'est dangereux. Ah ! ces jeunes apprentis, ça ne doute de rien !
Francine. Bah ! il ne peut pas se noyer par là… Il n'y a pas d'eau.
André. Eh bien, et la barque ? C'est ça qui m'inquiète, moi, ma barque ! Voyons, faut allumer un cierge à la bonne Dame !
Francine. Vous me le faites allumer pour un oui, pour un non, et, après ça, vous me reprochez de brûler trop de cire.
André. Et la cire coûte cher ! D'ailleurs, la bonne Dame, on lui en demande tant, qu'elle ne peut pas contenter tout le monde ! Vaudrait mieux… Eh ! et ces noisettes ? Voyons.
Francine. Les voilà ; qu'est-ce que vous voulez donc en faire ?
André. Mets-les sur la fenêtre. Pourquoi est-ce que tu ris ?
Francine, portant les noisettes sur la fenêtre. Parce que vous priez tantôt le bon Dieu et tantôt le diable.
André. Le diable ? Je le renie !
Francine. Et pourtant vous mettez à la fenêtre des noisettes pour le drac ?
André. Puisqu'on dit qu'il aime ça !
Francine. Si le drac est un esprit, un follet, il ne peut pas manger des noisettes !
André. Il ne les mange pas, il s'amuse avec.
Francine. Oui, c'est lui ou les rats !
André. Oh ! toi, tu ne crois à rien !
Francine. Si fait. Je crois au bon Dieu et aux bons saints ; mais les lutins, les dracs…
André. Les lutins, les lutins, il y en a de bons, il y en a de mauvais. Les dracs ne sont pas méchants quand on ne les fâche pas.
Francine. Oui, vous croyez que, pour des noisettes, ils font tout ce qu'on veut, qu'ils apaisent le vent, qu'ils poussent le poisson dans vos filets, et qu'ils vous font trouver de bonnes épaves sur la grève ?
André. Ça, j'en suis sûr ! C'est le drac de notre endroit qui m'a fait trouver toutes les planches de navire avec quoi que j'ai bâti notre maison et fait le mobilier, et mêmement des chapeaux neufs, des souliers encore bons et cinquante sortes de choses !
Francine. Vous l'avez donc vu, le drac ?
André. Si je l'ai vu ? Plus de vingt fois ! Il avait une queue de poisson et des ailes de goëland. Voilà que tu ris encore, grande niaise !
Francine. Non ; mais, moi, je me figurais le drac plus gentil que ça !… Dites donc, mon père, c'est-il vrai que, quand ils ne volent plus sur la mer, ils ne sont pas plus malins que nous, et que, quand ils vous taquinent trop, on peut les mettre en cage ?
André. Ça se dit. On dit même que le père Bosc en a pris un qui rôdait dans son garde-manger, et qu'il lui a coupé la queue pour le reconnaître. Mais c'est ça des imprudences !… C'est depuis ce jour-là que le père Bosc n'a jamais pu digérer le poisson de mer ! C'est égal, tout ce que nous disons là ne fait pas revenir mon apprenti et ma barque ; je vas descendre au rivage.
Francine. Non, tenez, les voilà ! J'entends la voix de Nicolas.
André, qui est retourné à la fenêtre. Eh bien, quand je te disais ! Tiens, regarde : plus de noisettes ! Le drac est venu, le drac est content ! C'est lui qui ramène Nicolas tout de suite.
Francine. Ou bien c'est le vent qui a emporté les noisettes et poussé la barque.
André, sortant. Oh ! toi, grande sotte, tu ne veux rien croire, rien comprendre ! (Sortant.) C'est vrai, ça, elle est plus sotte !…
Scène II
Francine, seule. C'est drôle, ces histoires de drac ! Ça n'est pas vrai, et j'en suis fâchée ! Je voudrais y croire ! ce serait si gentil d'avoir comme ça un petit ami, pas plus gros qu'un oiseau, qui ferait tout ce qu'on souhaite… qui s'en irait au loin, aussi vite qu'une hirondelle, vous chercher des nouvelles de ceux qu'on aime !… J'y pense tout de même, au drac ; mais c'est égal, je n'y crois pas. Il y en a qui disent — mon père croit ça aussi — que, quand on brûle une herbe, ça les fait venir. Quelle herbe ? Je ne la connais pas, moi ! Ils appellent ça l'herbe aux dracs… C'est peut-être bien celle-là que mon père a rapportée hier du cap Mouret, et qu'il a attachée là, dans la cheminée. Il n'a voulu me rien dire… Ça serait-il drôle, si ça le faisait entrer tout d'un coup par la fenêtre, ou bien descendre par le tuyau de la cheminée !… Ah ! je sais bien ce que je lui commanderais ! (Elle a pris machinalement quelques brins d'herbe sèche.) Quand on a du chagrin, on s'imagine toute sorte de folies ! (Elle les brûle.)
Scène III
Le Drac, Francine.
Le Drac. Bonjour, Francine.
Francine, effrayée. Ah ! mon Dieu ! d'où sort-il, celui-là ? Il m'a fait peur !… C'est toi, Nicolas ?
Le Drac. Qu'est-ce que vous avez donc brûlé, que ça sent si bon ?
Francine. Rien, rien… Mais pourquoi donc viens-tu avant d'avoir aidé mon père ?
Le Drac. Oh ! je l'ai aidé ! Mais le père André a voulu courir lui-même au village pour vendre son poisson.
Francine. Tu en as pris beaucoup ?
Le Drac. Oui, et v'là les coquillages pour votre souper.
Francine, qui lui met sur la table une cruche et un morceau de pain. Bon ! Donne-moi ça, et mange un morceau en attendant. Tu dois avoir faim. Moi, je vas éplucher ça dehors, pour ne pas salir la chambre. (À part.) Eh bien je n'y crois plus, au drac ; il n'est pas venu ! (Elle sort.)
Scène IV
Le Drac, seul, regardant les aliments. Boire, manger, qu'est-ce que cela peut être ?… Vivre avec un corps, marcher, autant vaut dire ramper !… Parler la langue des hommes, avoir un nom parmi eux, s'appeler… comment m'a-t-elle appelé ?… Nicolas ! Oui, c'est mon nom. Voyons donc ma figure !… (Il se regarde dans le miroir qui est à la muraille.) Ah ! oui, c'est bien celle de ce petit pêcheur dont ce matin le vent a fait chavirer la barque !… Alors, comme j'emportais tristement le cadavre de l'enfant vers la grotte du roi des elfes, que s'est-il donc passé ? Comme depuis ce moment ma mémoire s'est obscurcie !… Ah ! oui, je me souviens… Le roi des elfes a dit : « Depuis longtemps, tu m'implores pour que, par un prodige, je te permette de revêtir la forme humaine. Qu'il en soit donc ainsi : prends la figure, prends le corps de cet enfant, prends la vie qui lui a été violemment retirée, et va-t'en converser avec les hommes ! » Oui, oui, c'est cela… Voilà pourquoi je suis ici sous cette forme étrange, et pourquoi, comme une machine, j'obéis à des instincts, à des habitudes que j'ignore. Cruelle métamorphose ! Je souffre déjà d'être ainsi !… Mais qu'a-t-il dit encore, le roi des elfes ? Il a dit quelque chose d'horrible. « Tu vas perdre un partie de ta puissance, et j'ignore moi-même quel mélange de clairvoyance et d'aveuglement tes deux natures réunies, l'ancienne et la nouvelle, vont produire sur toi ! » Énigme effrayante !… Serai-je donc le jouet des passions ou la dupe de l'astuce des hommes ?… J'ai soif. (Il boit.) Ah ! quelle angoisse ! Connaître la souffrance ! (Il boit encore.) Francine, voilà ce que j'ai fait pour toi !… Quel trouble dans ma pensée ! quelle pesanteur dans tout mon être ! Est-ce la fatigue, ou ce breuvage ?… Je n'en puis plus ! vais-je dormir ?… O frayeur ! Dormir, n'est-ce pas cesser d'être ?… Et je ne puis résister !… O faiblesse, déchéance ! (Il se couche par terre et s'endort.)
Scène V
Francine, Le Drac.
Francine, rentrant avec les coquillages dans une écuelle. Eh bien, tu ne ranges pas ton goûter ? Ah ! le voilà qui dort par terre ! Il est donc bien las ? (Elle range ce qui est sur la table.) Pauvre petit ! il a trop de fatigue pour son âge ! Mon père est un peu dur pour lui !… Heureusement, les enfants, ça oublie… Je ne suis pourtant pas bien vieille, moi, et je n'oublie pas !… Je ne fais que penser…
Le Drac, rêvant. À Bernard !
Francine. Tiens ! il rêve de lui !
Le Drac. Heureux Bernard ! elle t'aime, la belle Francine !
Francine. Est-ce qu'il sait, cet enfant-là ? Je n'ai jamais parlé de ça devant lui.
Le Drac, rêvant toujours. Et voilà le jour des noces qui arrive !
Francine, à part. Oh ! non, il est passé, ce jour-là, pour ne jamais revenir ! (Haut.) Mais, dis donc, Nicolas, réveille-toi ! Tu parles tout haut !
Le Drac, sans l'entendre. Bernard, Bernard, tu as voulu consulter le sorcier pour savoir l'avenir !
Francine. Qu'est-ce qu'il dit là ? Il dort toujours !
Le Drac. Et le vieux bohémien t'a dit : « Si tu te maries, c'est la misère et l'esclavage ; si tu cherches les aventures, c'est la richesse et la liberté ! »
Francine. Ah !… serait-il possible ? Ah bah ! il ne connaît pas Bernard, lui ! Il ne l'a jamais vu !
Le Drac. Imprudent ! la prédiction t'a troublé la raison ! Tu as eu peur du mariage, tu as demandé un délai.
Francine. C'est vrai, ça, pourtant !
Le Drac. Francine a pleuré : tu l'aimais encore, tu as voulu t'étourdir. Le vin a eu vite raison d'un garçon jusqu'alors si sage. De l'ivresse, tu es tombé dans la débauche, dans la honte, dans l'abrutissement, dans la fureur !
Francine. Hélas !
Le Drac. Tu as abandonné Francine, qui, de chagrin, est tombée malade ; sa mère, qui l'était déjà…
Francine, cachant sa figure dans ses mains. Ma pauvre mère !
Le Drac. Le vieux père a voulu te faire des reproches, tu l'as raillé, insulté…
Francine. Ah ! c'est bien mal !
Le Drac. Le jeune frère t'a demandé raison, tu l'as frappé, blessé…
Francine. Laissé pour mort ! C'est affreux !
Le Drac. Et puis tu es parti, perdu de dettes, perdu d'honneur ! Tu es parti sur le Cyclope, un beau navire !
Francine. Oui. Après ?… Il ne dit plus rien. Ah ! s'il pouvait rêver encore !
Le Drac, se levant, toujours comme en extase. Qu'est-ce donc ? Un naufrage ?
Francine. Ah !…
Le Drac. Le bâtiment échoue, le capitaine va périr… Bernard le sauve. Bernard est brave !
Francine. C'est vrai !
Le Drac. Mais… voilà l'ennemi ! Des bombes, des blessés, des morts… Bernard se bat comme un lion !
Francine. J'en étais sûre.
Le Drac. Bernard est mis au tableau d'honneur ; il est décoré. On le fête, on l'aime, son capitaine l'embrasse !
Francine. Ah ! quel bonheur !
Le Drac. Mais on se bat encore. Bernard tombe, Bernard est blessé !
Francine. Ah ! mon pauvre cœur !
Le Drac, agité. Il est bien mal, il prie, il va mourir… Il se repent !
Francine. Il pense à moi, dis, il a pensé à moi ?
Le Drac, s'éveillant. Écoute ! (On entend le canon dans l'éloignement.)
Francine. Ce n'est rien, on entend ça tous les jours. Dis-moi… Mais je suis folle de vouloir que tu m'expliques un rêve !
Le Drac. C'est un navire qui rentre au port.
Francine. Quel navire ? Mon Dieu ! le Cyclope peut-être ! Tu l'as vu en mer aujourd'hui ? tu l'as reconnu ?
Le Drac. Qui sait ?
Francine. Et Bernard ?
Le Drac, comme étonné. Bernard ?
Francine. Ah ! tu ne dors plus, tu ne dors plus… ou tu ne veux plus me dire… Bernard est mort peut-être ?
Le Drac. Peut-être.
Francine. Mais peut-être aussi qu'il est vivant, qu'il revient, qu'il est sur ce navire ? Ah ! comment savoir ?… D'ici, on ne voit pas la rade. — Vas-y, toi ! (Le Drac secoue la tête et s'assied.) Nicolas ! vas-y !
Le Drac. Non.
Francine. Je te donnerai tout ce que tu voudras. Tiens ! ma chaîne, ma croix d'or !
Le Drac. Non, non.
Francine. Tu ne veux pas, méchant garçon ? Eh bien, je trouverai quelqu'un ; je saurai, je veux savoir… Oui… par le chemin de la chapelle, c'est plus court. (Elle sort par l'escalier.)
Scène VI
Le Drac, seul. Qu'ai-je donc vu dans mon rêve ? Ah ! oui, j'ai vu Bernard ! Il revient, il est revenu ! Mais dois-je me fier à mes rêves à présent ? Ceux des hommes sont trompeurs… Que se passe-t-il en moi ? L'arrivée de ce Bernard me fait souffrir. Ce Bernard que j'aimais… oui, je l'aimais, parce que Francine l'aime ! — Est-ce que je hais Francine depuis que je suis son égal ? — Que de choses je ne sais plus ! que de sentiments je ne puis plus comprendre ! — Oh ! oui, mais le peu que je sais, je pourrai le lui dire ! Elle était sourde à la voix mystérieuse du drac, elle entendra le pauvre petit pêcheur. — Et Bernard… à lui aussi je parlerai… Bernard ne me connaît pas ! Je lui dirai… je lui ferai croire… Est-ce qu'il approche ? Je le chasserai d'ici. Je ne l'aime plus, je le déteste !
Scène VII
Bernard, Le Drac.
Le Drac, à part. Oui, c'est lui ! (Haut, changeant de ton et d'altitude.) Entrez, mon sieur le marin.
Bernard, ému et embarrassé. Est-ce que… les gens du logis… ?
Le Drac. Ils vont rentrer.
Bernard. Alors… (À part.) Qu'est-ce que c'est donc que ce petit—là ? Il est gentil ! (Haut.) Alors, il n'y a ici personne de malade ?
Le Drac. Personne.
Bernard. Et comme ça tu gardes la maison, toi ?
Le Drac, fièrement. Vous voyez, mon camarade !
Bernard. Ah ! je suis ton camarade ? C'est drôle ! Tu demeures donc ici ?
Le Drac. Oui, par charité. Je ne suis pas du pays, je n'avais personne, ils m'ont pris chez eux.
Bernard. Ils ont bien fait, les braves gens ! Je les reconnais là ! Et… alors, tu connais bien Francine ?
Le Drac. Oui.
Bernard. Sais-tu si … ? Tu sais bien si elle est mariée ?
Le Drac. Elle ne l'est pas encore.
Bernard, tressaillant. Pas encore ?… Il en est donc question ?
Le Drac. Oui.
Bernard. Ah ! vingt dieux ! Avec qui ?
Le Drac. Je ne sais pas.
Bernard. Tu sais pas, tu sais pas… Tu dois savoir.
Le Drac. On dit tant de choses !
Bernard. Qu'est-ce qu'on dit ?
Le Drac. On dit que Francine avait un amoureux bien méchant, qui est parti.
Bernard, tristement. Je sais ça ! Après ?
Le Drac. Après, elle l'a oublié.
Bernard. Ah ! malheur ! elle en a pris un autre ?
Le Drac. Oui, un autre.
Bernard. Qui donc celui-là ?
Le Drac. Tu veux savoir ?
Bernard. Oui !
Le Drac. Eh bien, c'est moi !
Bernard. Toi ? (Il éclate de rire.) Ah ! en v'là une bonne, par exemple ! Toi, un amoureux pour Francine !…
Le Drac, à part. Ah ! maudite soit cette figure d'enfant !
Bernard. Allons, allons ! s'il n'y a pas ici d'autre épouseur que toi… Ah ! voilà Francine, je veux lui parler. Va-t'en !
Le Drac. Et si je ne veux pas ?
Bernard. Comment que tu dis ça ?…
Le Drac, effrayé, reculant. Vous voulez me faire du mal !
Bernard. Non, crains rien, ça serait lâche, de battre un enfant, et j'ai fini d'être mauvais ; mais faut t'en aller, mon garçon, ou je te mettrai en douceur à la porte.
Le Drac, à part. Raillé, méprisé, faible et peureux ! Oh ! qui m'eût dit cela ? (Il sort.)
Scène VIII
Bernard, puis Le Drac, qui rentre sans bruit et se cache sous l'escalier. Mon Dieu ! comment que je vas faire pour que Francine n'ait pas peur de moi ? Elle va croire… Ah ! je lui montrerai que je ne suis plus un mécréant. (Il se met à genoux devant l'image.)
Scène IX
Francine, Bernard, Le Drac, caché.
Francine, sans voir Bernard. Oui, c'était bien le Cyclope, je l'ai reconnu de loin ; mais pas moyen de savoir… (Voyant Bernard.) Ah ! Bernard ! Qu'est-ce que vous faites ici ?
Bernard, se relevant à demi et lui parlant un genou encore en terre. Tu vois, Francine, je demande à la bonne Dame de me faire avoir ton pardon.
Francine, embarrassée et méfiante. Est-ce que ?… J'espère que vous ne vous moquez point ?
Bernard, se levant tout à fait. Me moquer ? Ah ! peux tu croire… Mais oui, tu dois croire que je suis capable de ça ! Pourtant, regarde-moi, Francine, il y a du changement en moi, puisque j'ai mérité… (il montre sa croix.)
Francine. Tiens ! oui, je savais !
Bernard, voulant montrer ses papiers. Et il y a encore autre chose… C'est pas le tout de se battre ; j'ai appris à me bien conduire. Tiens ! regarde mes états de service !
Francine. Je sais, je sais !
Bernard. Comment le savais-tu ?
Francine. J'avais vu tout ça… dans un rêve.
Bernard. Tu rêvais donc de moi ? Ah ! Francine, si tu rêves de moi, c'est que tu m'aimes encore !
Francine, sévère. Vous croyez, Bernard ?
Bernard. Je crois !… non, je ne crois plus, puisque tu me reçois si froidement. J'aurais voulu et je voudrais croire, mais je sais bien que j'ai tout fait pour que tu me méprises, pour que tu me détestes. Je le sais si bien, Francine, et j'en suis si honteux, j'en ai eu tant de chagrin et de colère contre moi, que tu ne devrais pas me faire des reproches. Ah ! les reproches, vois-tu !… (frappant sur sa poitrine) ils sont là ; y en a lourd comme une montagne, et, si tu pouvais voir le fond de mon cœur, tu aurais plus de pitié que de rancune !
Francine. Je n'ai pas de rancune. Je suis contente que vous soyez redevenu honnête homme et bon sujet… J'en remercie le bon Dieu ; mais…
Bernard. Mais ça n'est pas une raison pour m'aimer ! Oui, je sais ça ! Pourtant !…
Francine. Pourquoi donc voulez-vous que je vous aime ?
Bernard. Parce que je t'aime toujours, moi ! parce que je t'ai toujours aimée, même dans le temps où je te faisais souffrir. Ah ! si tu savais… Mais tu ne comprends pas ça, toi qu'es si raisonnable ! tu diras que je suis fou. Eh bien, prends que je l'ai été… C'était ça ! une idée, une histoire de sorcier, de bonne aventure…
Francine. C'est donc vrai aussi, ça ? On t'avait prédit…
Bernard. Tout ce qui m'est arrivé ! Alors l'ambition m'a tourné la tète, je voulais voir du pays, faire la guerre, avoir ça ! (Il montre sa croix.) Et comme ça m'enrageait de te quitter… eh bien, le diable s'est mis dans ma vie, et je suis devenu pire qu'un chien !… Mais à présent !… oh ! ça n'est plus ça, Francine ! mets-moi à quelle épreuve que tu voudras, et je réponds de moi !
Francine, inquiète. Mon père va rentrer, Bernard ; vous ne pouvez pas rester ici !
Bernard. Pourquoi ça ? Tu crois qu'il ne voudra pas m'entendre ? Oh ! que si ! J'aurai pas honte de me confesser, j'endurerai les reproches, je me soumettrai à tout !
Francine. Et ma mère ! elle vous pardonnera ?
Bernard. Oh ! celle-là, oui ! Une femme si bonne, si patiente ! un cœur si doux ! Elle qui, avant mes sottises, m'aimait tant ! elle que j'ai tant fait rire… et tant fait pleurer !… Où ce qu'elle est ? Elle n'est donc pas à la maison ?
Francine. Ah ! malheureux ! tu demandes où elle est !
Bernard. Est-ce que… ?
Francine. Et tu n'en sais pas la cause ?
Bernard. Ne me la dis pas, ne me la dis pas ; ce serait trop ! (Il fond en larmes.)
Francine. Pleure, va, t'as sujet de pleurer !
Bernard, sanglotant. Oh !… la meilleure femme !… J'aurais dû m'attendre à ça !… Et moi que je comptais sur elle pour être pardonné ! Pauvre chère femme, va ! Ah ! me v'là trop puni, et la justice du bon Dieu pouvait pas trouver mieux pour me percer le cœur ! Ah ! pauvre femme ! brave femme ! c'était comme ma mère aussi, à moi !
Francine. adoucie. Tu vois bien, Bernard, que, quand même je t'aimerais encore, je ne pourrais plus jamais en convenir.
Bernard, vivement. Eh bien, si fait ! C'est justement pour ça ! pense donc ! Quelle chose est-ce que je peux faire pour consoler sa pauvre âme ? qu'est-ce qui lui ferait plaisir, si elle vivait ? qu'est-ce qu'elle me commanderait de faire ? Va, Francine, elle n'avait qu'une idée, qui était de nous marier, à la condition que je serais digne d'elle et digne de toi. Eh bien, ce jour-là est venu, vingt dieux ! et c'est au nom de ta mère que je viens te demander en mariage.
Francine. Mon Dieu ! c'est pourtant vrai, ce qu'il dit là, et, si ma mère l'entend, elle se réjouit dans le ciel !… Eh bien, laisse-moi consulter mon père !…
Bernard. Oui, oui, nous allons lui parler tous les deux !
Francine, vivement. Oh ! non ! c'est trop tôt ! songe donc…
Bernard. Ah ! oui, il m'en veut ! Sa pauv' femme… c'est juste ! Eh bien, je vas lui écrire et lui envoyer une lettre ; mais, toi, Francine, tu parleras pour moi ?
Francine. Si tu crois que ma mère le commande ?
Bernard. Oui, oui ! et le bon Dieu aussi veut que le repentir serve à quelque chose ! Jure-moi de me pardonner si ton père consent !
Francine. Je le promets…
Bernard. Ah ! il faut jurer, Francine, je t'aime tant !
Francine. Allons, je le jure.
Bernard. Francine !… laisse-moi t'embrasser.
Francine. Non ! c'est trop tôt.
Bernard. Oui, c'est trop tôt… mais de loin… Tiens ! (Lui envoyant des baisers en s'en allant.) Rends-moi z'en un au moins.
Francine. Non ! Quand reviendras-tu savoir… ?
Bernard. Faut que je retourne à bord ; mais, demain, j'aurai un congé de huit jours, et je reviendrai tout de suite…
Francine. Faut pas venir, si mon père est en colère ! Comment que tu le sauras ?
Bernard. Mets un signal à la fenêtre, un mouchoir blanc si c'est oui.
Francine. Et rien si c'est non. Allons, adieu !
Bernard. Non, non, pas adieu ! c'est pas possible. À demain ! (Il sort.)
Scène X
Francine, Le Drac.
Francine, à la porte du fond. Il se retourne ! il me regarde !… Ah ! Bernard !… Il m'envoie des baisers, et je ne peux pas lui en rendre un seul !… Ah ! il ne me voit plus ! (Elle lui envoie un baiser.)
Le Drac, éperdu, lui saisissant la main. Que fais-tu là, Francine ?
Francine. Ah ! tu m'as encore fait peur, toi ! Tu étais donc là ? Qu'est-ce que tu veux ?
Le Drac. Je veux que tu renonces à Bernard !
Francine. Eh ! de quoi te mêles-tu ?
Le Drac. Francine ! je t'aime !
Francine. Toi ? Par exemple ! à ton âge ?
Le Drac. Je n'ai pas d'âge, Francine, je suis de ceux qui ne meurent point.
Francine. Qu'est-ce que tu chantes là ? Tu deviens fou !
Le Drac. Francine, tes yeux te trompent ! Je ne suis pas l'orphelin que ton père a recueilli. Nicolas est parti ce matin ; il ne reviendra plus !
Francine. Mais qu'est-ce que tu me dis donc ? Tu dis que Nicolas est parti, et c'est lui qui me parle ? Tu ne te connais donc plus toi-même ? Tu auras eu quelque grande peur qui t'a fait perdre l'esprit.
Le Drac. L'orphelin n'est plus, et moi, Francine, moi qui t'aime, j'ai pris sa figure.
Francine. Tu as pris… ? Mais qui est-ce que tu prétends être ?
Le Drac. Je suis le drac, Francine, le drac du cap Mouret.
Francine, effrayée. Toi ?… Tiens, j'ai peur de tes yeux !… Tu n'as pas tes yeux des autres fois… Tu as la fièvre !
Le Drac. Malheur ! je n'avais pas prévu qu'elle ne voudrait pas, qu'elle ne pourrait pas me croire !
Francine, à part. C'est qu'il ne parle plus comme il a coutume de parler ! (Haut.) Où prends-tu tout ce que tu dis ?
Le Drac. Dans une nature supérieure à la tienne. Voyons, pour me croire, il te faut des preuves ?
Francine. Quelle preuve peux-tu me donner ?
Le Drac. N'as-tu pas rêvé la nuit dernière d'un enfant blanc couronné de fleurs, qui courait sur l'eau comme tu cours sur la terre ?
Francine, se parlant à elle-même. Je n'ai dit ça à personne !… et c'est vrai, je l'ai rêvé !
Le Drac. Ce médaillon que tu portes toujours…
Francine, vivement. C'est des cheveux de mon frère, qui s'est marié et qui est allé demeurer à Nice !
Le Drac. Tu mens, Francine, ce sont des cheveux de Bernard.
Francine. Ah ! ne dis pas ça ! Si mon père l'avait su…
Le Drac. Tu vois bien que je suis celui qui voit tout et qui sait toutes choses. Va ! tu me connaissais sous ma forme aérienne, je vivais dans ton imagination. Tu essayais en vain de nier ; tu me voyais dans tes songes, et l'enfant que la nuit dernière tu regardais courir sur la crête des vagues, c'était moi, Francine, c'était le drac, ton protecteur et ton ami !
Francine. Mais alors… toi, comment me connais-tu ? comment me voyais-tu ?
Le Drac. Oh ! moi, je te connais depuis longtemps, Francine ! Souviens-toi ! quand tu étais au lavoir et que tu te penchais sur l'eau transparente, moi, caché dans le feuillage des saules, je voyais ton front pur et ton pâle sourire. Tu chantais un air que Bernard t'avait appris, et tu croyais entendre une voix faible qui te soufflait les paroles…
Francine. C'est vrai pourtant.
Le Drac. Quand tu errais sur les rochers déserts, pensant toujours à Bernard et regardant toutes les voiles dans la brume de l'horizon, une voix amie que tu prenais d'abord pour le souffle du vent dans les broussailles te disait : « Il reviendra, espère ! »
Francine. Ah ! c'est encore vrai !
Le Drac. Un jour, tu as écrit son nom sur le sable pour en tirer un présage, comme font toutes les jeunes filles et tous les amoureux. Comme eux, tu te disais : « Si la première lame emporte les caractères, c'est qu'il ne reviendra pas ; si à la troisième on peut les lire encore, c'est qu'il pense à moi et veut revenir. » — La lame est revenue sept fois, et sept fois elle a respecté le nom chéri.
Francine, étonnée. Comment peux-tu savoir ?… J'étais seule ; c'est donc toi qui retenais la vague ?
Le Drac. C'est moi qui, berçant toujours tes fantaisies et caressant ton espérance, t'ai empêchée de mourir de chagrin.
Francine. Eh bien, alors, oui ! tu dois être mon ami. On dit que les dracs sont bons pour ceux qu'ils aiment !
Le Drac. Je t'aimais d'un pur amour, Francine. Ton âme était ma sœur, et je ne voulais que ta confiance. J'ai pris la forme humaine pour l'avoir tout à fait, pour t'annoncer le retour de Bernard, pour contempler ton sourire et baiser tes larmes de joie… Mais, sous cette forme, j'ai senti en moi un feu étrange, la jalousie, la colère, la haine, la passion ! Renonce à Bernard, Francine ; il le faut, je le veux !
Francine. Tu demandes l'impossible ! Je ne veux pas oublier Bernard, et je ne peux pas t'aimer !
Le Drac. Alors souviens-toi de ce que je te dis ! Si tu restes triste et seule, si tu chasses mon rival, tu verras tout réussir dans ta vie ; sinon, malheur à lui, malheur à toi, malheur à ta maison, à tes parents, malheur à tous ceux que tu aimes ! (Il sort. Francine, effrayée, tombe sur une chaise.)
Acte Deuxième
Scène Première
André, Le Drac.
André est absorbé. Le Drac entre et l'observe. La nuit est venue ; la lampe est allumée sur la table. André achève de souper. Une lettre est ouverte auprès de son assiette.
Le Drac, à part.
J'ai su éloigner Francine… À présent, je saurai bien… (Haut.) Eh bien, patron, l'avez-vous lue, c'te lettre qu'on vient de vous apporter ?
André.
Comment que tu sais ça, toi, que j'ai reçu une lettre ?
Le Drac.
J'ai vu le messager, un batelier du port.
André.
Et Francine, est-ce qu'elle l'a vu ?
Le Drac.
Oh ! non, Francine est partie dans la montagne.
André.
Dans la montagne ? à la nuit tombée ?
Le Drac.
Une de ses chèvres s'est échappée de l'étable ; elle court après.
André.
Alors elle n'est pas loin ; dépêchons-nous. Viens là, toi. T'es un savant, toi, tu sais lire dans l'écriture ; lis-moi ça ! moi, je ne peux pas, c'est trop mal écrit.
Le Drac, lisant.
« Cher et honoré patron maître André, je mets la main à la plume pour vous annoncer que je suis rentré, ce soir, en rade, à bord du navire le Cyclope, d'où ce que je vous écris ces lignes à seules fins de vous demander pardon de ma mauvaise conduite passée, que j'en suis très-mortifié de vous avoir déplu, que j'en demande pardon aussi à votre honoré fils, mon bon ami et ancien camarade, auquel que, malgré mes sottises, j'ai toujours porté estime et amitié, de même qu'à votre respectable épouse, que j'ai eu tant de chagrin d'apprendre sa mort, et ne m'en consolerai jamais… »
André, essuyant ses yeux.
Ni moi ! vrai bon Dieu ! Allons ! lis le tout !
Le Drac, lisant.
« Par ainsi, je vous demande permission de me présenter devant vous pour vous faire excuse et donner la preuve que j'ai réparé mon honneur, avec promesse de réparer mes torts que j'ai eus envers vous et votre respectable famille.
» Signé : JEAN-LOUIS Bernard,
» Chevalier de la Légion d'honneur. »
André, bondissant sur sa chaise.
Il y a ça, chevalier de… ? C'est pas une farce ? de la Légion d'honneur ?
Le Drac.
Y a ça. (À part.) C'est donc un talisman ?
André.
Ah çà ! mais alors…
Le Drac.
Alors vous lui pardonnez ?
André.
Ça t'étonne ? Ah ! oui, t'es étranger, toi. Et puis t'es un enfant ! Tu ne sais pas ce que c'est pour un simple matelot parti il y a deux ans… Faut qu'il ait fait quelque chose de très-joli, pas moins !
Le Drac.
Eh bien !… qu'est-ce que vous allez faire, vous ?
André.
Je vas… Quéque ça te fait, à toi ?
Le Drac.
Vous ne pouvez pas aller tout seul au port !
André.
Tu me crois trop vieux pour mener ma barque ? Blanc-bec ! t'étais pas né, que…
Le Drac.
Envoyez-moi ! j'irai plus vite que vous !
André.
Non ! Tu ne sais pas ce que je veux faire.
Le Drac.
Vous voulez ramener Bernard ici !
André.
Oui, quand j'aurai vu le ruban rouge et parlé à son capitaine ! On lui donnera bien une permission, si c'est vrai qu'il est décoré !
Le Drac.
Le port sera fermé.
André.
Non, il y a le temps ! Le vent est bon, faut pas plus de vingt minutes ! (À part.) J'enverrai mon neveu Antoine : c'est lui qu'ira vite, plus vite que moi.
Scène II
Le Drac, seul.
Oh ! j'empêcherai bien… Comment empêcherai-je ? Le vent et la vague m'obéiront-ils ? Les autres dracs ne me reconnaissent plus… C'est en vain que tout à l'heure je les évoquais sur la grève ; mais j'invoquerai l'esprit de vengeance, celui que les hommes appellent Satan ! Quel est-il ? Je ne le connais pas ; mais, s'il préside aux destinées humaines, il me reconnaîtra pour un des siens peut-être. Oui, je vais… Mais j'ai le temps. Je veux agir d'abord sur Francine. La voilà ! Que lui dirai—je ? J'ai perdu sa confiance. Je lui fais horreur ! Si je pouvais encore lui parler dans ses rêves !… Voyons, il faut effacer de son esprit… J'ai été trop vite.
Scène III
Francine, Le Drac, à l'écart.
Francine.
Ah ! la maudite chèvre ! m'a-t-elle fait courir ! C'est ce méchant drac qui l'aura détachée et rendue folle ! Où a-t-il passé, lui ? S'il pouvait ne jamais revenir ! Mais Nicolas, le vrai Nicolas, il serait donc mort, ce pauv' petit ?
Le Drac.
Non, mam'selle Francine ! j' suis pas du tout mort ! À cause que vous dites ça ?
Francine.
Ah ! c'est toi ? le vrai Nicolas ?
Le Drac.
L' vrai Nicolas, vot' serviteur ! Y en a donc un autre à c't'heure ?
Francine.
Pourquoi est-ce que tu m'as dit tantôt… ?
Le Drac.
Moi ? J'ai dit… Ah ! dame, ça se peut. Faut m'excuser, Francine. J'ai quelquefois des idées dans la tête, que je n'y comprends rien moi-même.
Francine.
C'est donc ça ! Pourtant tu disais des choses…
Le Drac.
Quelles choses donc ? Je ne m'en souviens pas, moi !
Francine.
Ça se peut, et il se peut aussi que tu sois pas bien bon chrétien. (À part.) S'il n'est pas le diable, il s'est toujours un peu donné à lui, et je m'en méfie. (Haut.) Allons, tu as soupé ? Va te coucher.
Le Drac.
Toujours dans l'étable aux chèvres ?
Francine.
Dame, nous n'avons pas d'autre logement pour toi, et, puisque tu t'en es contenté…
Le Drac.
Il fait bien triste, bien noir et bien froid dans l'étable, Francine ! Laisse-moi un peu veiller là, près de toi !
Francine.
Non, non, il faut dormir. C'est l'heure pour toi ! Va-t'en, et tâche de ne plus faire peur à mes bêtes ! (Elle le met dehors.)
Scène IV
Francine, seule.
S'il n'était pas si malheureux, je le ferais renvoyer ; mais, si j'en parle à mon père… Il vaudrait mieux lui parler de Bernard ;… mais j'ai peur qu'il ne se fâche. Sans doute que demain il recevra la lettre. — Qu'est-ce qu'il a donc été faire ce soir chez notre cousin Antoine ? (Elle a fini de ranger le souper d'André. Regardant la bouteille.) Tiens, il n'a pas bu sa goutte ! Il était donc bien pressé de sortir ? Je vas lui laisser sa bouteille, il voudra boire en rentrant. (Le Drac revient sans bruit. Francine a repris son ouvrage, une petite voile qu'elle raccommode.)
Scène V
Le Drac, Francine.
Francine, s'asseyant.
Ah ! que je suis lasse ! J'ai eu tant de secousses aujourd'hui ! (Elle appuie sa tête dans ses mains ; le Drac s'approche et lui casse son fil. Revenant à elle et reprenant son ouvrage.) Allons, il ne faut pas dormir ! Tiens, j'ai cassé mon fil ! (Elle le raccommode.) Et d'ailleurs je ne veux plus penser à tout ça, j'en deviendrais malade !… (Elle s'assoupit ; le Drac noue le fil deux ou trois fois. S'éveillant.) Ah bien, j'en ai fait, des nœuds !… Où diantre j'avais-t-il la tète ?… C'est comme si j'étais enchantée ! Tout danse autour de moi ! (Elle s'endort.)
Le Drac. (Bruit de la mer très-doux.)
« C'est l'heure charmante où mon esprit domine et persuade le tien, ô Francine, perle des rivages ! c'est l'heure où le soleil, plongé dans la mer, embrase encore le ciel rose où tremble l'étoile d'argent ; c'est l'heure du doute et du rêve, c'est l'heure de la vision ailée !
» Écoute la brise marine qui te berce et le faible remous du flot sur le sable : c'est la plainte du sylphe qui approche, c'est le soupir de l'esprit qui te cherche. Écoute le cri saccadé de la cigale attardée dans les roseaux : c'est l'ardent appel de l'époux mystérieux qui t'attend !
» Quitte cette terre de faiblesse et de souffrance, viens sur les flots toujours émus, toujours vivants ! viens avec ceux qui sont toujours jeunes. Je te conduirai dans le royaume des merveilles, dans le palais transparent des elfes, sous le dais de corail des ondines !
» Viens, et tu auras la science de toutes choses, tu liras dans la pensée de toutes les créatures, depuis la fantaisie de l'insecte qui vole de fleur en fleur jusqu'à la plus secrète pensée de l'homme ; tu entendras la respiration profonde de la pierre écrasée sous la pierre, tu comprendras le langage passionné du torrent qui se précipite et les suaves paroles qu'en son extase amoureuse l'alouette chante au soleil matinal !
» Viens, Francine… »
Francine, rêvant.
Bernard ! tu m'appelles ?
Le Drac.
Non, c'est moi ! c'est moi, le roi des songes, le drac aux ailes d'azur !
Francine.
Bernard !
Le Drac.
Oublie-le donc, n'écoute que moi !
Francine.
Bernard, je t'écoute !
Le Drac, s'éloignant un peu d'elle.
Ah ! toujours lui ! Elle l'aime donc bien ! Eh bien, tant pis pour toi, Francine ! Tu veux souffrir, tu souffriras ! — À moi, visions de la nuit ! à moi, fantômes décevants !… Rival détesté, ne puis-je rien contre toi ? ne puis-je évoquer un esprit plus puissant que ton amour ?… Spectres, illusions, voix trompeuses, images effrayantes, reflets du passé, terreurs de l'avenir, obéissez-moi ! Quoi ! rien ? ne suis-je plus rien moi-même ? Par ce signe redouté (il trace dans l'air un signe magique), paraissez ! Paraissez donc, présages et frayeurs, tourments et misères de l'homme !
Scène VI
Francine, endormie ; Le Drac, Le Spectre de Bernard, sortant de terre derrière Francine.
Le Spectre.
Qui m'appelle ?
Le Drac, reculant.
Bernard ! Est-ce lui ?
Le Spectre.
Non ; je suis son image, son double, son spectre !
Le Drac.
Ah ! je suis encore le drac, le roi des songes ! Tu as deviné ma pensée, tu as compris la langue que je suis forcé de parler : tu vas m'obéir !
Le Spectre.
J'obéis à ma nature, qui est de fasciner et de tromper dans le sommeil ou dans la veille, dans le désespoir ou dans l'ivresse, dans la passion ou dans la folie. La langue des hommes que tu me parles, comment ne la connaîtrais-je pas, moi qui converse à toute heure avec eux ? Quant à deviner ta pensée… Non ! tu es un esprit déchu ou enchaîné à quelque épreuve : j'obéis au chiffre sacré par lequel tu m'as évoqué.
Le Drac.
Alors pourquoi viens-tu ici sous cette figure ?
Le Spectre.
Parce que je suis l'hôte assidu de cette chaumière, parce que ceux qui l'habitent m'appellent sans cesse sous la forme que voici, et que je me nourris des chimères de leur imagination ou des tourments de leur pensée.
Le Drac.
Ah ! oui, l'amour de Francine, la haine de son père… Eh bien, fais maudire et détester celui que tu représentes. Obéis-moi, je le veux !
Le Spectre.
Quand j'obéis, c'est à ma guise ; nul ne gouverne ma fantaisie. Va-t'en !
Le Drac.
Oui, car je veux agir de mon côté ! Il me faut ici plus d'une victime ! À nous deux, Bernard ! (Il sort.)
Scène VII
Le Faux Bernard, Francine, endormie.
Le Faux Bernard, brusque et l'air dur.
Allons, la belle, éveille-toi !
Francine, s'éveillant.
Bernard !… Ah ! comment es-tu ici ?
Le Faux Bernard.
Ton père m'a envoyé chercher, ton père me pardonne.
Francine.
Est-ce possible ? Déjà ! oui, voilà ce que je rêvais ; mais je crois rêver encore. Est-ce bien toi qui es là ? J'ai donc dormi longtemps ?
Le Faux Bernard.
Je n'en sais rien, moi ! Pourquoi me regardes-tu d'un air effaré ? On dirait que tu ne me connais pas !
Francine.
C'est que ta figure est changée depuis tantôt ! Tu es pâle, et tu m'annonces d'un air triste et méchant la bonne nouvelle. Qu'est-ce qu'il y a donc ?
Le Faux Bernard.
Il y a… il y a, Francine, que je ne sais pas si tu m'aimes !
Francine.
Oh ! pourquoi donc cette question-là ?
Le Faux Bernard.
Parce que j'ai réfléchi depuis tantôt. Je me suis dit comme ça : Peut-être bien que Francine t'avait oublié et qu'elle aurait autant aimé que tu ne reviennes jamais !
Francine.
J'aurais peut-être dû penser comme ça, Bernard, ne sachant point que vous aviez changé de conduite ; mais…
Le Faux Bernard.
Mais, malgré toi, tu m'aimes toujours ?… Voyons, dis-le donc, car tu ne me l'as pas encore dit, et il faut que tu me le dises !
Francine.
Eh bien, puisque mes parents te pardonnent… je t'ai toujours aimé, je t'aime toujours !
Le Faux Bernard, toujours plus rude.
Allons, c'est dit, et tu ne peux plus t'en dédire.
Francine.
Tu es content ?
Le Faux Bernard.
Parbleu !
Francine.
Eh bien, pourquoi est-ce que tu as toujours la figure méchante ?
Le Faux Bernard.
C'est que… c'est que je te trompais, Francine ! ton cousin est venu me dire que ni lui ni ton père ne voulaient me souffrir mettre les pieds ici.
Francine.
Ah ! mon Dieu ! Et pourquoi y reviens-tu ? Mon père va rentrer, il faut que tu t'en ailles, Bernard, il le faut absolument !
Le Faux Bernard.
Ainsi voilà tout ? Tu as peur d'être grondée, tu me dis : « Va-t'en ! » c'est tout ton regret, tout ton adieu ? Ah ! je le savais bien, que tu ne m'aimais pas !
Francine.
C'est bien mal, de me dire ça quand j'ai tant de chagrin !
Le Faux Bernard.
Oui, tu me fais la charité d'un peu de chagrin, à moi qui ai la rage dans le cœur !
Francine.
Ah ! mon Dieu ! mon Dieu ! c'est trop de malheur pour nous !
Le Faux Bernard.
Francine, si tu souffrais autant que moi, il y aurait un moyen de décider ton père.
Francine.
Je n'en vois pas, moi. Quel moyen ?
Le Faux Bernard.
Sortons d'ici tous les deux !
Francine.
Pourquoi ?
Le Faux Bernard.
Nous passerons la nuit dehors.
Francine.
Oh ! non ! qu'est-ce qu'on dirait ?
Le Faux Bernard.
On dirait ce qu'il faut qu'on dise, que je t'ai enlevée, que nous nous aimons, et le devoir de ton père serait de nous marier.
Francine.
Ça serait un vilain moyen ! Comment oses-tu penser à ça ?
Le Faux Bernard, se versant à boire.
Ah ! que veux-tu ! Faut pourtant trouver quelque chose ! Nous ne pouvons nous quitter comme ça. (Il boit.) Tu ne veux pas qu'on jase ? Eh bien, laisse-moi passer la nuit ici. Quand ton père nous verra ensemble, il pensera que c'est trop tard pour refuser. (Il boit encore.)
Francine.
Allons ! tu dis de vilaines choses ! Ne bois donc pas comme ça. C'est du rhum, et le rhum ne donne jamais de bonnes idées.
Le Faux Bernard, buvant toujours.
Ah ! tant pis, faut que je m'étourdisse ! Au moment de te quitter, le cœur me manque. Non, ça n'est pas possible ! Francine, faisons mieux ; sauvons-nous ensemble ! Je déserterai. Oui, vingt dieux ! je déserte, la ! Nous filons en Amérique. J'ai de l'argent. Tu passeras pour ma femme, et au diable les parents, au diable le pays et tout le tremblement !
Francine, lui ôtant la bouteille.
Ne buvez plus, Bernard ; vous êtes déjà ivre !
Le Faux Bernard, se levant, brutal et menaçant.
J'suis pas ivre du tout !
Francine.
Alors vous êtes pire que vous n'étiez ; car, dans vos plus mauvais moments, vous n'auriez jamais osé me proposer ça.
Le Faux Bernard, menaçant.
C'est que j'étais une bête ! À c't' heure, faut faire comme je dis, et faut me suivre ! Allons, prends ta cape et partons ! Je le veux !
Francine, à part.
Ah ! mon Dieu ! il me fait peur !
Le Faux Bernard.
À qui est-ce que je parle ? Voyons, en route !
Francine.
Taisez-vous ! J'entends venir mon père !
Le Faux Bernard.
Oh ! il fera bien de me flanquer la paix, ton âne de père ! (Lui prenant le bras et l'entraînant de force.) Viens-tu ? Crie pas, ou j'éreinte le vieux !
Scène VIII
Le Faux Bernard, Francine, André.
André, par le fond.
Qu'est-ce que c'est ? Voyons ! Tiens ! c'est vous, Bernard ! Comment donc que vous êtes là si vite ?
Francine.
Mon père…
André.
Pourquoi que t'es pas couchée, toi ? Vite à ta chambre, allons !
Francine.
Mais…
André.
Pas de mais ! Je ne veux pas qu'on me réponde. Sors d'ici et n'y reviens pas sans mon ordre.
Scène IX
Le Faux Bernard, André.
André.
Et vous, je ne sais pas ce que vous lui disiez ; mais c'était une dispute, et, si c'est comme ça que vous commencez…
Le Faux Bernard, railleur et cessant de paraître ivre.
Patron, je revenais bien gentil. C'est pas ma faute si vot'fille a des lubies.
André.
Ma fille n'a pas de lubies, et vous êtes un mal-appris ! (À part.) Il a le ruban rouge tout de même. (Haut.) Voyons, expliquez-vous honnêtement si vous pouvez.
Le Faux Bernard.
M'expliquer ? Ça ne tirera pas en longueur. Asseyons-nous, patron, et ouvrez le tiroir de votre table.
André.
Pourquoi ?
Le Faux Bernard.
Allez toujours.
André, ouvrant le tiroir et en tirant des coquillages, qu'il pose sur la table par poignées.
Eh bien, je ne trouve là dedans que des coquilles que je voulais garder parce qu'elles sont jolies. Après ?
Le Faux Bernard.
Vous appelez ça des coquilles ? Est-ce que vous avez perdu les yeux ? Mettez donc vos lunettes, père chose !
André, fasciné rapidement en touchant les coquillages, pendant que le faux Bernard, qui a allumé sa pipe, en fait jaillir une flamme verte.
Père chose, père chose !… Ah ! tiens, je me trompais, c'est juste. C'est des sous… des sous d'argent ! Suis-je bête ! des sous d'argent ! Je crois bien que j'ai bu une goutte de trop, chez Antoine. C'est égal, je vois que c'est de l'or !…
Le Faux Bernard.
De l'or ! C'est-il du petit ou du gros ?
André.
C'est des gros doubles louis, pardi ! Sainte Vierge ! il y en a là pour plus de dix mille francs.
Le Faux Bernard.
Cinquante mille, mon vieux ! Comptez, ils sont là dedans par lots de mille rangés comme des sardines dans une boîte.
André.
Je ne dis pas ; mais… c'est-il à toi, tout ça ?
Le Faux Bernard.
Un peu, que c'est à moi !
André.
Et… c'est acquis honnêtement ?
Le Faux Bernard.
C'est-il honnête, le droit de prise ?
André.
En guerre… oui !
Le Faux Bernard.
Eh bien, voilà, écoute.
André.
Vous me tutoyez ?
Le Faux Bernard.
C'est par amitié, beau-père.
André, un peu hébété.
Beau-père ! décoré, cinquante mille francs !… Je ne sais pas si je dors ou si je veille. Tu disais ?…
Le Faux Bernard.
Là-bas, à la guerre, un pirate est tombé entre nos mains. Il avait trois femmes, c'était un Turc. Le capitaine a pris la plus jeune, le lieutenant a pris la seconde… Restait la plus vieille, dont personne ne voulait, car elle n'avait plus que trois dents et un œil, ce qui ne l'empêchait pas d'être bossue des deux épaules et boiteuse des deux jambes… Mais moi qu'avais compris des mots de leur chienne de langue… (André reste en extase devant les coquilles.)
Scène X
Le Faux Bernard, André, Le Drac.
Le Drac, au fond, derrière la porte vitrée.
Que fais-tu là, esprit fantasque ?
Le Faux Bernard.
J'embrouille et j'amuse, je complique et j'éblouis. Je trace le rêve dans le cerveau de ma proie. C'est le livre où je peins ma fantaisie : c'est le miroir, je suis l'image !
Le Drac.
Dans quelle extase plonges-tu ce vieillard ?
Le Faux Bernard.
J'obéis à des lois que les hommes ne peuvent deviner. C'est à eux de trouver leur perte ou leur salut dans mon caprice ; c'est à toi d'en tirer parti pour tes desseins.
Le Drac.
C'est bien, mais hâte-toi.
André, sortant de son extase, sans voir le Drac.
Tu disais donc ?…
Le Faux Bernard.
Que c'était sa mère.
André.
Au lieutenant ?
Le Faux Bernard.
Au pirate ! Vous n'écoutez donc pas ?
André.
Si fait, va toujours ! (Il retombe dans l'extase.)
Le Faux Bernard.
Pour lors… (Au Drac.) Où est-il, celui dont j'ai pris la ressemblance ?
Le Drac.
Malgré moi, il vient. Abrège.
Le Faux Bernard, très-haut.
Et, comme je le menaçais de la pendre…
André.
Qui, ma fille ?
Le Faux Bernard.
Non, la vieille.
André.
Ah ! oui ; il a payé rançon ?
Le Faux Bernard.
C'est ça, vous y êtes ! (Au Drac.) À présent, quoi ?
Le Drac.
Fais-toi promettre la fille, et va-t'en.
Le Faux Bernard, haut, à André.
Ainsi l'affaire est bâclée, et, si Francine veut de moi…
André.
Et pourquoi donc qu'elle n'en voudrait pas ? Attends ! je vas lui parler devant toi.
Le Faux Bernard, appelé par les signes du Drac.
Serrez ça d'abord… Ça me fatigue à porter et faut pas que ça traîne. (On frappe à la porte d'en haut.)
André.
N'ouvre pas ! c'est pas la peine qu'on sache… Et puis je ne prends rien en garde sans compter.
Le Faux Bernard.
Comptez, comptez ! (Au Drac.) Partons ! (Il sort avec le Drac par le fond. Pendant qu'André compte l'argent, le vrai Bernard frappe encore à la porte d'en haut. André, absorbé, compte les paquets entre ses dents. Bernard entre.)
Scène XI
André, Le Vrai Bernard.
André, sans se retourner.
Ouvre pas, je te dis !
Bernard, ému.
Mais c'est moi, patron !
André.
Je le sais bien que c'est toi ; mais là-haut ? dehors ?
Bernard.
Je n'ai vu personne !
André.
Tiens, je croyais !… Trente…
Bernard.
Ah ! patron, quel bonheur que mon capitaine m'ait permis…
André, brusquement.
Ne me parle pas, tu me feras tromper ! Je disais trente… Qu'est ce que je disais ?
Bernard, étonné.
Vous disiez trente… Après ?
André.
C'est ça, trente-deux… Je vas toujours ! trente-quatre. (Il continue entre ses dents.)
Bernard, à part.
Ah çà ! qu'est-ce qu'il a donc à compter comme ça des coquilles ? Drôle de manière de me recevoir !
André.
Quarante ! Compte avec moi !
Bernard.
Comme vous voudrez ! (Ils comptent ensemble jusqu'à 50 par 2 ou par 4.)
André, prenant les gros coquillages pour des rouleaux d'or.
C'est bien le compte ?
Bernard.
Oui. (À part.) Est-ce que le pauvre vieux déménage déjà ? Diable ! ça serait du chagrin, ça !
André, serrant le tiroir plein de coquillages dans son buffet.
Tu vois, je les mets là.
Bernard.
Je vois ! et puis ?
André.
Et puis, si tu veux emporter la clef ?
Bernard.
Moi ? Mais non, j'y tiens pas. (À part.) J'y comprends rien.
André.
Alors t'as confiance en moi ?
Bernard.
Comme au bon Dieu !… Mais, patron, je venais pour vous remercier, et… avant tout… est-ce que… ? Si j'osais vous demander la permission de vous embrasser… ça me ferait tant de plaisir !
André.
Embrasse-moi, mon garçon, embrassons-nous !… Je ne demande pas mieux.
Bernard, lui sautant au cou.
Ah ! tenez, vous, vous êtes le meilleur homme de la terre ? Vous me pardonnez tout, si vite que ça ? Vrai, vous me pardonnez ?
André.
Eh oui ! c'est entendu, puisque tu aimes toujours ma fille ?
Bernard.
Ah ! si je l'aime !
André.
Eh bien, il faut s'entendre tous les trois. Allons. (Allant à la porte de Francine.) Francine ! voyons, viens !
Bernard.
Quel bonheur !
Scène XII
André, Bernard, Francine.
André, à Francine.
Eh bien, on est d'accord, lui et moi. Es-tu contente ? Embrassez-vous, je permets à c't' heure que vous vous aimiez !
Bernard, voulant l'embrasser.
Ah ! ma chère…
Francine, le repoussant.
Ôtez-vous de là ! Moi, je ne vous aime plus !
Bernard.
Mon Dieu ! Déjà ? Pourquoi donc ?
André.
Oui, voyons, pourquoi ça ?
Francine.
Parce que je ne l'estime plus, parce que je n'ai pas confiance en lui.
André.
Mais, pendant que j'étais sorti, que s'est-il donc passé ?
Bernard.
Ce tantôt ?… Mais rien ! Elle m'avait pardonné, elle aussi.
Francine.
La première fois, oui ; mais la seconde !
Bernard.
La seconde ?…
André, à Bernard.
T'es donc venu deux fois aujourd'hui ?
Francine, à Bernard, avant qu'il puisse répondre.
Épargnez-vous la peine de mentir, je ne veux rien cacher à mon père.
André.
Tu ne dois rien me cacher. Qu'il soit venu deux ou trois fois, ça ne me fait rien, si son intention est bonne. Sinon…
Francine.
Sinon, faut pas vous fâcher, mon père, faut mépriser ça, et le prier de nous laisser tranquilles.
Bernard.
Francine, c'est comme ça que tu me parles !… Mais qu'est-ce qu'il y a donc, mon Dieu ?
André.
Oui, qu'est-ce qu'il y a ? T'a-t-il fait quelque insulte ? Allons, faut le dire ! J'suis pas encore assez vieux pour l'endurer sans me regimber, moi !…
Francine, effrayée.
Non, non, mon père, c'est pas ça !
André.
Alors… qu'est-ce que c'est ? C'est un caprice que t'as ?
Francine.
Eh bien, oui, mon père ! c'est un caprice que j'ai ! (À part.) Au moins, comme ça, ils ne se battront pas.
André, s'approchant de Bernard, qui s'est assis consterné.
Comprends-tu ça, toi ?
Bernard.
Oui, patron ? Je comprends qu'elle ne m'aime pas, qu'elle ne m'a jamais aimé !
André, à Francine en colère.
Dites donc, demoiselle ! c'est pas tout ça. J'entends pas, moi, que vous refusiez.
Bernard, se levant et lui saisissant le bras.
Oh ! patron !
André, en colère.
Laisse-moi ! J'entends qu'elle m'obéisse !
Bernard.
Vous voulez qu'elle m'épouse malgré elle, et vous croyez que j'accepterais la fille sans le cœur ?
André.
À qui qu'elle l'a donné, son cœur ? (À Francine.) Réponds ! À qui ?
Francine.
Mon père, je vas tout vous dire, là, dans votre chambre ; venez !
André.
Eh bien, c'est ça. Confesse-toi, malheureuse, ou je t'assomme ! Attends-moi là, Bernard ! (Il sort par la chambre de Francine.)
Francine, le suivant, parlant vite.
Non, Bernard ; allez-vous-en ! Quand mon père saura comment vous vous êtes conduit avec moi, il vous cherchera querelle. Vous paraissez dégrisé… Allez-vous-en ! vous ne voudriez pas…
André, de l'intérieur.
Ah çà ! viens-tu ? (Francine entre dans sa chambre.
Scène XIII
Bernard, seul.
J'y comprends rien ! J'en deviendrai fou !… M'en aller ? reculer devant une accusation que je ne mérite pas ? Oh ! non ! j'en ai trop mérité dont je ne me souciais pas assez ! À présent, je tiens à mon honneur. Il y a ici quelque mensonge… Faut savoir… Qu'est-ce que ça peut donc être ?
Scène XIV
Le Drac, Bernard.
Le Drac, sans être vu de Bernard.
Ainsi, je n'ai pu empêcher son retour ! La vague a refusé d'engloutir la barque qui le ramenait, le vent n'a pas voulu déchirer la voile ! Les éléments ne m'entendent plus. Rien ne m'obéit, et Satan, le mystérieux problème, n'a pas daigné me répondre. (Regardant Bernard.) Mais la vision a su troubler son bonheur. Accablé, désolé, il m'appartient peut-être ! Essayons. (Il reste au fond, près de la fenêtre. Le vent chante au dehors d'une manière lugubre.)
Bernard, debout près de la table, absorbé.
Dire que je l'ai insultée, moi !… Mais, pour croire à ça, faut donc… ? Ah ! ma pauvre tète ! quel mauvais rêve !
Le Drac.
Malheur, malheur, trois fois malheur à celui qui a blessé l'orgueil de la femme ! La femme se souvient et se venge ; elle se venge en feignant de caresser. Tu reviens à elle, tu te crois absous parce qu'elle sourit et promet ! C'est alors que, sûre de te faire souffrir, elle te foule aux pieds et te brise. Tant pis pour toi, Bernard, il ne fallait pas abandonner Francine ! — Malheur, malheur, trois fois malheur à celui qui croit pouvoir racheter un passé coupable ! Il invoque en vain la justice des hommes et la bonté du ciel. Chimère ! le ciel est sourd, les hommes sont aveugles ! L'éternelle damnation ou l'éternel néant, voilà ton avenir, à toi, créature insensée qui croit pouvoir aspirer à l'infini du bonheur ! — Malheur, malheur, trois fois malheur à qui veut lutter contre une destinée fatale ! Ses vains efforts ne servent qu'à prolonger son supplice. Vertu, dévouement, expiation, trois mots menteurs qui aigrissent la souffrance ! Bernard, Bernard, il n'y a pas loin d'ici au bord de la mer profonde ! Là est l'oubli, là est le repos, là est la fin des misères humaines !
Bernard, égaré.
La mer !… l'oubli, le repos !… Le vent est bien triste cette nuit ! Il chante des airs à rendre fou !… Il dit des paroles à se donner au diable ! Le diable ! Lui seul, on dirait, se mêle de nos affaires !
Le Drac, ne pouvant contenir sa joie.
Oui, le diable, le diable ! le parrain de ceux qui croient au mal !
Bernard.
Ah ! mais c'est de vraies paroles que j'entends, je ne rêve pas. (Il se retourne et voit le Drac, qui change aussitôt d'attitude et d'expression.) Tiens, c'est toi qui es là, petit ? Qu'est-ce que tu disais donc ?
Le Drac.
Moi ? Rien ; qu'est-ce que vous voulez que je dise ?
Bernard.
Je veux… oui, je veux que tu me dises la vérité, car tu la sais.
Le Drac.
Quelle vérité ?
Bernard.
Oh ! tu me l'as donnée à entendre tantôt !
Le Drac.
À entendre ? Non, je vous ai dit clairement que Francine ne vous aimait plus.
Bernard.
Et t'as eu peur d'en trop dire. T'as fini par te moquer de moi en te donnant pour l'amoureux…
Le Drac.
Oh ! ça, c'était une plaisanterie.
Bernard.
T'as pas besoin de le dire ; mais, à c't' heure, je ne ris plus, et je te défends de plaisanter. Comment s'appelle-t-il, l'amoureux de Francine ? Allons, vite, dis !
Le Drac.
Comment il s'appelle ? J'sais pas.
Bernard.
Tu mens !
Le Drac, effrayé.
Si vous vous fâchez…
Bernard.
Oui, tu te sauveras ? Voyons, aie pas peur.
Le Drac, insinuant.
Tu veux le tuer, pas vrai ?
Bernard.
Le tuer ? Non certes ; tuer un pays, un camarade peut être, parce que Francine… ? Ah ! j'avais mérité ça, moi, et je dois me soumettre.
Le Drac.
Tu ne veux pas te venger ? Alors pourquoi veux-tu savoir ?…
Bernard.
Pour savoir, v'là tout ; mais, toi, d'où sais-tu ?
Le Drac.
Francine me l'a dit.
Bernard, se parlant à lui-même, haut.
Alors qu'elle me le dise donc, à moi aussi ! Au lieu de m'accuser injustement, qu'elle me rende au moins son estime, qu'elle ait confiance en moi ! Oui, je vas l'attendre ; oui, je vas lui parler, tant pis ! Faut être honnête homme et vrai ami avant tout ; faut lui rendre sa parole, faut pas l'empêcher d'être heureuse… heureuse avec un autre !… (Il cache sa figure dans son mouchoir.)
Le Drac, à part.
Quoi ! je ne puis le pousser ni au désespoir, ni à la vengeance ! Quelle puissance l'arme ainsi contre moi ? Qu'y a-t-il donc de si fort dans le cœur de l'homme ?
Bernard, essuyant ses yeux.
Allons, c'est dit, c'est décidé, je ferai mon devoir. Je vas lui parler devant son père, lui faire mes adieux… Ôte-toi de là, petit ! (Le Drac est allé se placer contre la porte par où sont sortis André et Francine.)
Le Drac.
Non, écoute ! Francine t'accuse, mais son père résiste. Il dit que tu es riche.
Bernard.
Moi ? Mais non !
Le Drac, écoutant toujours.
Il le croit ! D'ailleurs, tu es décoré. Sa vanité en est flattée. Il forcera Francine à t'épouser.
Bernard.
La forcer ? Non, non ! je suis là ; ôte-toi donc que j'aille leur dire…
Le Drac, le ramenant sur le milieu de la scène.
Qu'est-ce que tu leur diras ? Que tu te soumets, que tu renonces… ?
Bernard.
Oui.
Le Drac.
Eh bien, le vieux battra sa fille ; il la tuera peut-être !
Bernard.
Qu'est-ce que tu dis ? Il n'est pas capable de ça !
Le Drac.
Il y a longtemps que tu ne l'avais vu ? Il est devenu presque fou.
Bernard.
Ah ! c'est donc ça que tout à l'heure… ?
Le Drac.
D'ailleurs, Francine est craintive ; elle cédera, elle t'épousera… et elle te trompera !
Bernard.
Non, Francine n'a qu'une parole.
Le Drac.
Alors elle mourra de chagrin.
Bernard.
Ah ! voilà le pire ! Comment donc faire ?
Le Drac.
Il ne faut pas la revoir, il faut t'en aller, et lui écrire que c'est toi qui ne veux pas d'elle. Comme ça, son père la laissera tranquille.
Bernard.
C'est vrai. T'es pas bête, toi ! Mais, moi, je suis trop malheureux ! Allons, je m'en vas, j'écrirai demain. (Il veut s'en aller.)
Le Drac.
Non pas, tout de suite.
Bernard.
Avec quoi ? J'ai rien.
Le Drac , courant à la cheminée.
Tiens ! un charbon… sur le mur.
Bernard.
Allons ! (Il écrit.) « Francine, adieu ! »
Le Drac.
C'est pas assez.
Bernard.
Comment, c'est pas assez ?
Le Drac.
Non, faut que son père croie que ça vient de toi.
Bernard.
Quoi mettre ? (Écrivant.) « Je…»
Le Drac.
Je t'oublie !
Bernard.
C'est pas vrai.
Le Drac.
C'est pour ça !
Bernard, écrivant.
« Je t'oublie !» Ça y est. Malheur !
Le Drac.
À présent, signe et va-t'en.
Bernard.
C'est fait ; mais jamais de ma vie je n'ai écrit de mensonge pareil ! Ah ! Francine, j'en mourrai, c'est sûr. Malheur ! ah ! malheur ! (Il sort.)
Scène XV
Le Drac, seul.
Oui, trois fois malheur, comme dans ton rêve. Mais ce que tu as eu la faiblesse d'écrire ne suffit pas à ma vengeance ! (Il fait apparaître sur l'inscription, au lieu des mots Je t'oublie, les mots Je te méprise.)
Scène Première
André, Le Drac.
André est absorbé. Le Drac entre et l'observe. La nuit est venue ; la lampe est allumée sur la table. André achève de souper. Une lettre est ouverte auprès de son assiette.
Le Drac, à part. J'ai su éloigner Francine… À présent, je saurai bien… (Haut.) Eh bien, patron, l'avez-vous lue, c'te lettre qu'on vient de vous apporter ?
André. Comment que tu sais ça, toi, que j'ai reçu une lettre ?
Le Drac. J'ai vu le messager, un batelier du port.
André. Et Francine, est-ce qu'elle l'a vu ?
Le Drac. Oh ! non, Francine est partie dans la montagne.
André. Dans la montagne ? à la nuit tombée ?
Le Drac. Une de ses chèvres s'est échappée de l'étable ; elle court après.
André. Alors elle n'est pas loin ; dépêchons-nous. Viens là, toi. T'es un savant, toi, tu sais lire dans l'écriture ; lis-moi ça ! moi, je ne peux pas, c'est trop mal écrit.
Le Drac, lisant. « Cher et honoré patron maître André, je mets la main à la plume pour vous annoncer que je suis rentré, ce soir, en rade, à bord du navire le Cyclope, d'où ce que je vous écris ces lignes à seules fins de vous demander pardon de ma mauvaise conduite passée, que j'en suis très-mortifié de vous avoir déplu, que j'en demande pardon aussi à votre honoré fils, mon bon ami et ancien camarade, auquel que, malgré mes sottises, j'ai toujours porté estime et amitié, de même qu'à votre respectable épouse, que j'ai eu tant de chagrin d'apprendre sa mort, et ne m'en consolerai jamais… »
André, essuyant ses yeux. Ni moi ! vrai bon Dieu ! Allons ! lis le tout !
Le Drac, lisant. « Par ainsi, je vous demande permission de me présenter devant vous pour vous faire excuse et donner la preuve que j'ai réparé mon honneur, avec promesse de réparer mes torts que j'ai eus envers vous et votre respectable famille.
» Signé : JEAN-LOUIS Bernard,
» Chevalier de la Légion d'honneur. »
André, bondissant sur sa chaise. Il y a ça, chevalier de… ? C'est pas une farce ? de la Légion d'honneur ?
Le Drac. Y a ça. (À part.) C'est donc un talisman ?
André. Ah çà ! mais alors…
Le Drac. Alors vous lui pardonnez ?
André. Ça t'étonne ? Ah ! oui, t'es étranger, toi. Et puis t'es un enfant ! Tu ne sais pas ce que c'est pour un simple matelot parti il y a deux ans… Faut qu'il ait fait quelque chose de très-joli, pas moins !
Le Drac. Eh bien !… qu'est-ce que vous allez faire, vous ?
André. Je vas… Quéque ça te fait, à toi ?
Le Drac. Vous ne pouvez pas aller tout seul au port !
André. Tu me crois trop vieux pour mener ma barque ? Blanc-bec ! t'étais pas né, que…
Le Drac. Envoyez-moi ! j'irai plus vite que vous !
André. Non ! Tu ne sais pas ce que je veux faire.
Le Drac. Vous voulez ramener Bernard ici !
André. Oui, quand j'aurai vu le ruban rouge et parlé à son capitaine ! On lui donnera bien une permission, si c'est vrai qu'il est décoré !
Le Drac. Le port sera fermé.
André. Non, il y a le temps ! Le vent est bon, faut pas plus de vingt minutes ! (À part.) J'enverrai mon neveu Antoine : c'est lui qu'ira vite, plus vite que moi.
Scène II
Le Drac, seul. Oh ! j'empêcherai bien… Comment empêcherai-je ? Le vent et la vague m'obéiront-ils ? Les autres dracs ne me reconnaissent plus… C'est en vain que tout à l'heure je les évoquais sur la grève ; mais j'invoquerai l'esprit de vengeance, celui que les hommes appellent Satan ! Quel est-il ? Je ne le connais pas ; mais, s'il préside aux destinées humaines, il me reconnaîtra pour un des siens peut-être. Oui, je vais… Mais j'ai le temps. Je veux agir d'abord sur Francine. La voilà ! Que lui dirai—je ? J'ai perdu sa confiance. Je lui fais horreur ! Si je pouvais encore lui parler dans ses rêves !… Voyons, il faut effacer de son esprit… J'ai été trop vite.
Scène III
Francine, Le Drac, à l'écart.
Francine. Ah ! la maudite chèvre ! m'a-t-elle fait courir ! C'est ce méchant drac qui l'aura détachée et rendue folle ! Où a-t-il passé, lui ? S'il pouvait ne jamais revenir ! Mais Nicolas, le vrai Nicolas, il serait donc mort, ce pauv' petit ?
Le Drac. Non, mam'selle Francine ! j' suis pas du tout mort ! À cause que vous dites ça ?
Francine. Ah ! c'est toi ? le vrai Nicolas ?
Le Drac. L' vrai Nicolas, vot' serviteur ! Y en a donc un autre à c't'heure ?
Francine. Pourquoi est-ce que tu m'as dit tantôt… ?
Le Drac. Moi ? J'ai dit… Ah ! dame, ça se peut. Faut m'excuser, Francine. J'ai quelquefois des idées dans la tête, que je n'y comprends rien moi-même.
Francine. C'est donc ça ! Pourtant tu disais des choses…
Le Drac. Quelles choses donc ? Je ne m'en souviens pas, moi !
Francine. Ça se peut, et il se peut aussi que tu sois pas bien bon chrétien. (À part.) S'il n'est pas le diable, il s'est toujours un peu donné à lui, et je m'en méfie. (Haut.) Allons, tu as soupé ? Va te coucher.
Le Drac. Toujours dans l'étable aux chèvres ?
Francine. Dame, nous n'avons pas d'autre logement pour toi, et, puisque tu t'en es contenté…
Le Drac. Il fait bien triste, bien noir et bien froid dans l'étable, Francine ! Laisse-moi un peu veiller là, près de toi !
Francine. Non, non, il faut dormir. C'est l'heure pour toi ! Va-t'en, et tâche de ne plus faire peur à mes bêtes ! (Elle le met dehors.)
Scène IV
Francine, seule. S'il n'était pas si malheureux, je le ferais renvoyer ; mais, si j'en parle à mon père… Il vaudrait mieux lui parler de Bernard ;… mais j'ai peur qu'il ne se fâche. Sans doute que demain il recevra la lettre. — Qu'est-ce qu'il a donc été faire ce soir chez notre cousin Antoine ? (Elle a fini de ranger le souper d'André. Regardant la bouteille.) Tiens, il n'a pas bu sa goutte ! Il était donc bien pressé de sortir ? Je vas lui laisser sa bouteille, il voudra boire en rentrant. (Le Drac revient sans bruit. Francine a repris son ouvrage, une petite voile qu'elle raccommode.)
Scène V
Le Drac, Francine.
Francine, s'asseyant. Ah ! que je suis lasse ! J'ai eu tant de secousses aujourd'hui ! (Elle appuie sa tête dans ses mains ; le Drac s'approche et lui casse son fil. Revenant à elle et reprenant son ouvrage.) Allons, il ne faut pas dormir ! Tiens, j'ai cassé mon fil ! (Elle le raccommode.) Et d'ailleurs je ne veux plus penser à tout ça, j'en deviendrais malade !… (Elle s'assoupit ; le Drac noue le fil deux ou trois fois. S'éveillant.) Ah bien, j'en ai fait, des nœuds !… Où diantre j'avais-t-il la tète ?… C'est comme si j'étais enchantée ! Tout danse autour de moi ! (Elle s'endort.)
Le Drac. (Bruit de la mer très-doux.) « C'est l'heure charmante où mon esprit domine et persuade le tien, ô Francine, perle des rivages ! c'est l'heure où le soleil, plongé dans la mer, embrase encore le ciel rose où tremble l'étoile d'argent ; c'est l'heure du doute et du rêve, c'est l'heure de la vision ailée !
» Écoute la brise marine qui te berce et le faible remous du flot sur le sable : c'est la plainte du sylphe qui approche, c'est le soupir de l'esprit qui te cherche. Écoute le cri saccadé de la cigale attardée dans les roseaux : c'est l'ardent appel de l'époux mystérieux qui t'attend !
» Quitte cette terre de faiblesse et de souffrance, viens sur les flots toujours émus, toujours vivants ! viens avec ceux qui sont toujours jeunes. Je te conduirai dans le royaume des merveilles, dans le palais transparent des elfes, sous le dais de corail des ondines !
» Viens, et tu auras la science de toutes choses, tu liras dans la pensée de toutes les créatures, depuis la fantaisie de l'insecte qui vole de fleur en fleur jusqu'à la plus secrète pensée de l'homme ; tu entendras la respiration profonde de la pierre écrasée sous la pierre, tu comprendras le langage passionné du torrent qui se précipite et les suaves paroles qu'en son extase amoureuse l'alouette chante au soleil matinal !
» Viens, Francine… »
Francine, rêvant. Bernard ! tu m'appelles ?
Le Drac. Non, c'est moi ! c'est moi, le roi des songes, le drac aux ailes d'azur !
Francine. Bernard !
Le Drac. Oublie-le donc, n'écoute que moi !
Francine. Bernard, je t'écoute !
Le Drac, s'éloignant un peu d'elle. Ah ! toujours lui ! Elle l'aime donc bien ! Eh bien, tant pis pour toi, Francine ! Tu veux souffrir, tu souffriras ! — À moi, visions de la nuit ! à moi, fantômes décevants !… Rival détesté, ne puis-je rien contre toi ? ne puis-je évoquer un esprit plus puissant que ton amour ?… Spectres, illusions, voix trompeuses, images effrayantes, reflets du passé, terreurs de l'avenir, obéissez-moi ! Quoi ! rien ? ne suis-je plus rien moi-même ? Par ce signe redouté (il trace dans l'air un signe magique), paraissez ! Paraissez donc, présages et frayeurs, tourments et misères de l'homme !
Scène VI
Francine, endormie ; Le Drac, Le Spectre de Bernard, sortant de terre derrière Francine.
Le Spectre. Qui m'appelle ?
Le Drac, reculant. Bernard ! Est-ce lui ?
Le Spectre. Non ; je suis son image, son double, son spectre !
Le Drac. Ah ! je suis encore le drac, le roi des songes ! Tu as deviné ma pensée, tu as compris la langue que je suis forcé de parler : tu vas m'obéir !
Le Spectre. J'obéis à ma nature, qui est de fasciner et de tromper dans le sommeil ou dans la veille, dans le désespoir ou dans l'ivresse, dans la passion ou dans la folie. La langue des hommes que tu me parles, comment ne la connaîtrais-je pas, moi qui converse à toute heure avec eux ? Quant à deviner ta pensée… Non ! tu es un esprit déchu ou enchaîné à quelque épreuve : j'obéis au chiffre sacré par lequel tu m'as évoqué.
Le Drac. Alors pourquoi viens-tu ici sous cette figure ?
Le Spectre. Parce que je suis l'hôte assidu de cette chaumière, parce que ceux qui l'habitent m'appellent sans cesse sous la forme que voici, et que je me nourris des chimères de leur imagination ou des tourments de leur pensée.
Le Drac. Ah ! oui, l'amour de Francine, la haine de son père… Eh bien, fais maudire et détester celui que tu représentes. Obéis-moi, je le veux !
Le Spectre. Quand j'obéis, c'est à ma guise ; nul ne gouverne ma fantaisie. Va-t'en !
Le Drac. Oui, car je veux agir de mon côté ! Il me faut ici plus d'une victime ! À nous deux, Bernard ! (Il sort.)
Scène VII
Le Faux Bernard, Francine, endormie.
Le Faux Bernard, brusque et l'air dur. Allons, la belle, éveille-toi !
Francine, s'éveillant. Bernard !… Ah ! comment es-tu ici ?
Le Faux Bernard. Ton père m'a envoyé chercher, ton père me pardonne.
Francine. Est-ce possible ? Déjà ! oui, voilà ce que je rêvais ; mais je crois rêver encore. Est-ce bien toi qui es là ? J'ai donc dormi longtemps ?
Le Faux Bernard. Je n'en sais rien, moi ! Pourquoi me regardes-tu d'un air effaré ? On dirait que tu ne me connais pas !
Francine. C'est que ta figure est changée depuis tantôt ! Tu es pâle, et tu m'annonces d'un air triste et méchant la bonne nouvelle. Qu'est-ce qu'il y a donc ?
Le Faux Bernard. Il y a… il y a, Francine, que je ne sais pas si tu m'aimes !
Francine. Oh ! pourquoi donc cette question-là ?
Le Faux Bernard. Parce que j'ai réfléchi depuis tantôt. Je me suis dit comme ça : Peut-être bien que Francine t'avait oublié et qu'elle aurait autant aimé que tu ne reviennes jamais !
Francine. J'aurais peut-être dû penser comme ça, Bernard, ne sachant point que vous aviez changé de conduite ; mais…
Le Faux Bernard. Mais, malgré toi, tu m'aimes toujours ?… Voyons, dis-le donc, car tu ne me l'as pas encore dit, et il faut que tu me le dises !
Francine. Eh bien, puisque mes parents te pardonnent… je t'ai toujours aimé, je t'aime toujours !
Le Faux Bernard, toujours plus rude. Allons, c'est dit, et tu ne peux plus t'en dédire.
Francine. Tu es content ?
Le Faux Bernard. Parbleu !
Francine. Eh bien, pourquoi est-ce que tu as toujours la figure méchante ?
Le Faux Bernard. C'est que… c'est que je te trompais, Francine ! ton cousin est venu me dire que ni lui ni ton père ne voulaient me souffrir mettre les pieds ici.
Francine. Ah ! mon Dieu ! Et pourquoi y reviens-tu ? Mon père va rentrer, il faut que tu t'en ailles, Bernard, il le faut absolument !
Le Faux Bernard. Ainsi voilà tout ? Tu as peur d'être grondée, tu me dis : « Va-t'en ! » c'est tout ton regret, tout ton adieu ? Ah ! je le savais bien, que tu ne m'aimais pas !
Francine. C'est bien mal, de me dire ça quand j'ai tant de chagrin !
Le Faux Bernard. Oui, tu me fais la charité d'un peu de chagrin, à moi qui ai la rage dans le cœur !
Francine. Ah ! mon Dieu ! mon Dieu ! c'est trop de malheur pour nous !
Le Faux Bernard. Francine, si tu souffrais autant que moi, il y aurait un moyen de décider ton père.
Francine. Je n'en vois pas, moi. Quel moyen ?
Le Faux Bernard. Sortons d'ici tous les deux !
Francine. Pourquoi ?
Le Faux Bernard. Nous passerons la nuit dehors.
Francine. Oh ! non ! qu'est-ce qu'on dirait ?
Le Faux Bernard. On dirait ce qu'il faut qu'on dise, que je t'ai enlevée, que nous nous aimons, et le devoir de ton père serait de nous marier.
Francine. Ça serait un vilain moyen ! Comment oses-tu penser à ça ?
Le Faux Bernard, se versant à boire. Ah ! que veux-tu ! Faut pourtant trouver quelque chose ! Nous ne pouvons nous quitter comme ça. (Il boit.) Tu ne veux pas qu'on jase ? Eh bien, laisse-moi passer la nuit ici. Quand ton père nous verra ensemble, il pensera que c'est trop tard pour refuser. (Il boit encore.)
Francine. Allons ! tu dis de vilaines choses ! Ne bois donc pas comme ça. C'est du rhum, et le rhum ne donne jamais de bonnes idées.
Le Faux Bernard, buvant toujours. Ah ! tant pis, faut que je m'étourdisse ! Au moment de te quitter, le cœur me manque. Non, ça n'est pas possible ! Francine, faisons mieux ; sauvons-nous ensemble ! Je déserterai. Oui, vingt dieux ! je déserte, la ! Nous filons en Amérique. J'ai de l'argent. Tu passeras pour ma femme, et au diable les parents, au diable le pays et tout le tremblement !
Francine, lui ôtant la bouteille. Ne buvez plus, Bernard ; vous êtes déjà ivre !
Le Faux Bernard, se levant, brutal et menaçant. J'suis pas ivre du tout !
Francine. Alors vous êtes pire que vous n'étiez ; car, dans vos plus mauvais moments, vous n'auriez jamais osé me proposer ça.
Le Faux Bernard, menaçant. C'est que j'étais une bête ! À c't' heure, faut faire comme je dis, et faut me suivre ! Allons, prends ta cape et partons ! Je le veux !
Francine, à part. Ah ! mon Dieu ! il me fait peur !
Le Faux Bernard. À qui est-ce que je parle ? Voyons, en route !
Francine. Taisez-vous ! J'entends venir mon père !
Le Faux Bernard. Oh ! il fera bien de me flanquer la paix, ton âne de père ! (Lui prenant le bras et l'entraînant de force.) Viens-tu ? Crie pas, ou j'éreinte le vieux !
Scène VIII
Le Faux Bernard, Francine, André.
André, par le fond. Qu'est-ce que c'est ? Voyons ! Tiens ! c'est vous, Bernard ! Comment donc que vous êtes là si vite ?
Francine. Mon père…
André. Pourquoi que t'es pas couchée, toi ? Vite à ta chambre, allons !
Francine. Mais…
André. Pas de mais ! Je ne veux pas qu'on me réponde. Sors d'ici et n'y reviens pas sans mon ordre.
Scène IX
Le Faux Bernard, André.
André. Et vous, je ne sais pas ce que vous lui disiez ; mais c'était une dispute, et, si c'est comme ça que vous commencez…
Le Faux Bernard, railleur et cessant de paraître ivre. Patron, je revenais bien gentil. C'est pas ma faute si vot'fille a des lubies.
André. Ma fille n'a pas de lubies, et vous êtes un mal-appris ! (À part.) Il a le ruban rouge tout de même. (Haut.) Voyons, expliquez-vous honnêtement si vous pouvez.
Le Faux Bernard. M'expliquer ? Ça ne tirera pas en longueur. Asseyons-nous, patron, et ouvrez le tiroir de votre table.
André. Pourquoi ?
Le Faux Bernard. Allez toujours.
André, ouvrant le tiroir et en tirant des coquillages, qu'il pose sur la table par poignées. Eh bien, je ne trouve là dedans que des coquilles que je voulais garder parce qu'elles sont jolies. Après ?
Le Faux Bernard. Vous appelez ça des coquilles ? Est-ce que vous avez perdu les yeux ? Mettez donc vos lunettes, père chose !
André, fasciné rapidement en touchant les coquillages, pendant que le faux Bernard, qui a allumé sa pipe, en fait jaillir une flamme verte. Père chose, père chose !… Ah ! tiens, je me trompais, c'est juste. C'est des sous… des sous d'argent ! Suis-je bête ! des sous d'argent ! Je crois bien que j'ai bu une goutte de trop, chez Antoine. C'est égal, je vois que c'est de l'or !…
Le Faux Bernard. De l'or ! C'est-il du petit ou du gros ?
André. C'est des gros doubles louis, pardi ! Sainte Vierge ! il y en a là pour plus de dix mille francs.
Le Faux Bernard. Cinquante mille, mon vieux ! Comptez, ils sont là dedans par lots de mille rangés comme des sardines dans une boîte.
André. Je ne dis pas ; mais… c'est-il à toi, tout ça ?
Le Faux Bernard. Un peu, que c'est à moi !
André. Et… c'est acquis honnêtement ?
Le Faux Bernard. C'est-il honnête, le droit de prise ?
André. En guerre… oui !
Le Faux Bernard. Eh bien, voilà, écoute.
André. Vous me tutoyez ?
Le Faux Bernard. C'est par amitié, beau-père.
André, un peu hébété. Beau-père ! décoré, cinquante mille francs !… Je ne sais pas si je dors ou si je veille. Tu disais ?…
Le Faux Bernard. Là-bas, à la guerre, un pirate est tombé entre nos mains. Il avait trois femmes, c'était un Turc. Le capitaine a pris la plus jeune, le lieutenant a pris la seconde… Restait la plus vieille, dont personne ne voulait, car elle n'avait plus que trois dents et un œil, ce qui ne l'empêchait pas d'être bossue des deux épaules et boiteuse des deux jambes… Mais moi qu'avais compris des mots de leur chienne de langue… (André reste en extase devant les coquilles.)
Scène X
Le Faux Bernard, André, Le Drac.
Le Drac, au fond, derrière la porte vitrée. Que fais-tu là, esprit fantasque ?
Le Faux Bernard. J'embrouille et j'amuse, je complique et j'éblouis. Je trace le rêve dans le cerveau de ma proie. C'est le livre où je peins ma fantaisie : c'est le miroir, je suis l'image !
Le Drac. Dans quelle extase plonges-tu ce vieillard ?
Le Faux Bernard. J'obéis à des lois que les hommes ne peuvent deviner. C'est à eux de trouver leur perte ou leur salut dans mon caprice ; c'est à toi d'en tirer parti pour tes desseins.
Le Drac. C'est bien, mais hâte-toi.
André, sortant de son extase, sans voir le Drac. Tu disais donc ?…
Le Faux Bernard. Que c'était sa mère.
André. Au lieutenant ?
Le Faux Bernard. Au pirate ! Vous n'écoutez donc pas ?
André. Si fait, va toujours ! (Il retombe dans l'extase.)
Le Faux Bernard. Pour lors… (Au Drac.) Où est-il, celui dont j'ai pris la ressemblance ?
Le Drac. Malgré moi, il vient. Abrège.
Le Faux Bernard, très-haut. Et, comme je le menaçais de la pendre…
André. Qui, ma fille ?
Le Faux Bernard. Non, la vieille.
André. Ah ! oui ; il a payé rançon ?
Le Faux Bernard. C'est ça, vous y êtes ! (Au Drac.) À présent, quoi ?
Le Drac. Fais-toi promettre la fille, et va-t'en.
Le Faux Bernard, haut, à André. Ainsi l'affaire est bâclée, et, si Francine veut de moi…
André. Et pourquoi donc qu'elle n'en voudrait pas ? Attends ! je vas lui parler devant toi.
Le Faux Bernard, appelé par les signes du Drac. Serrez ça d'abord… Ça me fatigue à porter et faut pas que ça traîne. (On frappe à la porte d'en haut.)
André. N'ouvre pas ! c'est pas la peine qu'on sache… Et puis je ne prends rien en garde sans compter.
Le Faux Bernard. Comptez, comptez ! (Au Drac.) Partons ! (Il sort avec le Drac par le fond. Pendant qu'André compte l'argent, le vrai Bernard frappe encore à la porte d'en haut. André, absorbé, compte les paquets entre ses dents. Bernard entre.)
Scène XI
André, Le Vrai Bernard.
André, sans se retourner. Ouvre pas, je te dis !
Bernard, ému. Mais c'est moi, patron !
André. Je le sais bien que c'est toi ; mais là-haut ? dehors ?
Bernard. Je n'ai vu personne !
André. Tiens, je croyais !… Trente…
Bernard. Ah ! patron, quel bonheur que mon capitaine m'ait permis…
André, brusquement. Ne me parle pas, tu me feras tromper ! Je disais trente… Qu'est ce que je disais ?
Bernard, étonné. Vous disiez trente… Après ?
André. C'est ça, trente-deux… Je vas toujours ! trente-quatre. (Il continue entre ses dents.)
Bernard, à part. Ah çà ! qu'est-ce qu'il a donc à compter comme ça des coquilles ? Drôle de manière de me recevoir !
André. Quarante ! Compte avec moi !
Bernard. Comme vous voudrez ! (Ils comptent ensemble jusqu'à 50 par 2 ou par 4.)
André, prenant les gros coquillages pour des rouleaux d'or. C'est bien le compte ?
Bernard. Oui. (À part.) Est-ce que le pauvre vieux déménage déjà ? Diable ! ça serait du chagrin, ça !
André, serrant le tiroir plein de coquillages dans son buffet. Tu vois, je les mets là.
Bernard. Je vois ! et puis ?
André. Et puis, si tu veux emporter la clef ?
Bernard. Moi ? Mais non, j'y tiens pas. (À part.) J'y comprends rien.
André. Alors t'as confiance en moi ?
Bernard. Comme au bon Dieu !… Mais, patron, je venais pour vous remercier, et… avant tout… est-ce que… ? Si j'osais vous demander la permission de vous embrasser… ça me ferait tant de plaisir !
André. Embrasse-moi, mon garçon, embrassons-nous !… Je ne demande pas mieux.
Bernard, lui sautant au cou. Ah ! tenez, vous, vous êtes le meilleur homme de la terre ? Vous me pardonnez tout, si vite que ça ? Vrai, vous me pardonnez ?
André. Eh oui ! c'est entendu, puisque tu aimes toujours ma fille ?
Bernard. Ah ! si je l'aime !
André. Eh bien, il faut s'entendre tous les trois. Allons. (Allant à la porte de Francine.) Francine ! voyons, viens !
Bernard. Quel bonheur !
Scène XII
André, Bernard, Francine.
André, à Francine. Eh bien, on est d'accord, lui et moi. Es-tu contente ? Embrassez-vous, je permets à c't' heure que vous vous aimiez !
Bernard, voulant l'embrasser. Ah ! ma chère…
Francine, le repoussant. Ôtez-vous de là ! Moi, je ne vous aime plus !
Bernard. Mon Dieu ! Déjà ? Pourquoi donc ?
André. Oui, voyons, pourquoi ça ?
Francine. Parce que je ne l'estime plus, parce que je n'ai pas confiance en lui.
André. Mais, pendant que j'étais sorti, que s'est-il donc passé ?
Bernard. Ce tantôt ?… Mais rien ! Elle m'avait pardonné, elle aussi.
Francine. La première fois, oui ; mais la seconde !
Bernard. La seconde ?…
André, à Bernard. T'es donc venu deux fois aujourd'hui ?
Francine, à Bernard, avant qu'il puisse répondre. Épargnez-vous la peine de mentir, je ne veux rien cacher à mon père.
André. Tu ne dois rien me cacher. Qu'il soit venu deux ou trois fois, ça ne me fait rien, si son intention est bonne. Sinon…
Francine. Sinon, faut pas vous fâcher, mon père, faut mépriser ça, et le prier de nous laisser tranquilles.
Bernard. Francine, c'est comme ça que tu me parles !… Mais qu'est-ce qu'il y a donc, mon Dieu ?
André. Oui, qu'est-ce qu'il y a ? T'a-t-il fait quelque insulte ? Allons, faut le dire ! J'suis pas encore assez vieux pour l'endurer sans me regimber, moi !…
Francine, effrayée. Non, non, mon père, c'est pas ça !
André. Alors… qu'est-ce que c'est ? C'est un caprice que t'as ?
Francine. Eh bien, oui, mon père ! c'est un caprice que j'ai ! (À part.) Au moins, comme ça, ils ne se battront pas.
André, s'approchant de Bernard, qui s'est assis consterné. Comprends-tu ça, toi ?
Bernard. Oui, patron ? Je comprends qu'elle ne m'aime pas, qu'elle ne m'a jamais aimé !
André, à Francine en colère. Dites donc, demoiselle ! c'est pas tout ça. J'entends pas, moi, que vous refusiez.
Bernard, se levant et lui saisissant le bras. Oh ! patron !
André, en colère. Laisse-moi ! J'entends qu'elle m'obéisse !
Bernard. Vous voulez qu'elle m'épouse malgré elle, et vous croyez que j'accepterais la fille sans le cœur ?
André. À qui qu'elle l'a donné, son cœur ? (À Francine.) Réponds ! À qui ?
Francine. Mon père, je vas tout vous dire, là, dans votre chambre ; venez !
André. Eh bien, c'est ça. Confesse-toi, malheureuse, ou je t'assomme ! Attends-moi là, Bernard ! (Il sort par la chambre de Francine.)
Francine, le suivant, parlant vite. Non, Bernard ; allez-vous-en ! Quand mon père saura comment vous vous êtes conduit avec moi, il vous cherchera querelle. Vous paraissez dégrisé… Allez-vous-en ! vous ne voudriez pas…
André, de l'intérieur. Ah çà ! viens-tu ? (Francine entre dans sa chambre.
Scène XIII
Bernard, seul. J'y comprends rien ! J'en deviendrai fou !… M'en aller ? reculer devant une accusation que je ne mérite pas ? Oh ! non ! j'en ai trop mérité dont je ne me souciais pas assez ! À présent, je tiens à mon honneur. Il y a ici quelque mensonge… Faut savoir… Qu'est-ce que ça peut donc être ?
Scène XIV
Le Drac, Bernard.
Le Drac, sans être vu de Bernard. Ainsi, je n'ai pu empêcher son retour ! La vague a refusé d'engloutir la barque qui le ramenait, le vent n'a pas voulu déchirer la voile ! Les éléments ne m'entendent plus. Rien ne m'obéit, et Satan, le mystérieux problème, n'a pas daigné me répondre. (Regardant Bernard.) Mais la vision a su troubler son bonheur. Accablé, désolé, il m'appartient peut-être ! Essayons. (Il reste au fond, près de la fenêtre. Le vent chante au dehors d'une manière lugubre.)
Bernard, debout près de la table, absorbé. Dire que je l'ai insultée, moi !… Mais, pour croire à ça, faut donc… ? Ah ! ma pauvre tète ! quel mauvais rêve !
Le Drac. Malheur, malheur, trois fois malheur à celui qui a blessé l'orgueil de la femme ! La femme se souvient et se venge ; elle se venge en feignant de caresser. Tu reviens à elle, tu te crois absous parce qu'elle sourit et promet ! C'est alors que, sûre de te faire souffrir, elle te foule aux pieds et te brise. Tant pis pour toi, Bernard, il ne fallait pas abandonner Francine ! — Malheur, malheur, trois fois malheur à celui qui croit pouvoir racheter un passé coupable ! Il invoque en vain la justice des hommes et la bonté du ciel. Chimère ! le ciel est sourd, les hommes sont aveugles ! L'éternelle damnation ou l'éternel néant, voilà ton avenir, à toi, créature insensée qui croit pouvoir aspirer à l'infini du bonheur ! — Malheur, malheur, trois fois malheur à qui veut lutter contre une destinée fatale ! Ses vains efforts ne servent qu'à prolonger son supplice. Vertu, dévouement, expiation, trois mots menteurs qui aigrissent la souffrance ! Bernard, Bernard, il n'y a pas loin d'ici au bord de la mer profonde ! Là est l'oubli, là est le repos, là est la fin des misères humaines !
Bernard, égaré. La mer !… l'oubli, le repos !… Le vent est bien triste cette nuit ! Il chante des airs à rendre fou !… Il dit des paroles à se donner au diable ! Le diable ! Lui seul, on dirait, se mêle de nos affaires !
Le Drac, ne pouvant contenir sa joie. Oui, le diable, le diable ! le parrain de ceux qui croient au mal !
Bernard. Ah ! mais c'est de vraies paroles que j'entends, je ne rêve pas. (Il se retourne et voit le Drac, qui change aussitôt d'attitude et d'expression.) Tiens, c'est toi qui es là, petit ? Qu'est-ce que tu disais donc ?
Le Drac. Moi ? Rien ; qu'est-ce que vous voulez que je dise ?
Bernard. Je veux… oui, je veux que tu me dises la vérité, car tu la sais.
Le Drac. Quelle vérité ?
Bernard. Oh ! tu me l'as donnée à entendre tantôt !
Le Drac. À entendre ? Non, je vous ai dit clairement que Francine ne vous aimait plus.
Bernard. Et t'as eu peur d'en trop dire. T'as fini par te moquer de moi en te donnant pour l'amoureux…
Le Drac. Oh ! ça, c'était une plaisanterie.
Bernard. T'as pas besoin de le dire ; mais, à c't' heure, je ne ris plus, et je te défends de plaisanter. Comment s'appelle-t-il, l'amoureux de Francine ? Allons, vite, dis !
Le Drac. Comment il s'appelle ? J'sais pas.
Bernard. Tu mens !
Le Drac, effrayé. Si vous vous fâchez…
Bernard. Oui, tu te sauveras ? Voyons, aie pas peur.
Le Drac, insinuant. Tu veux le tuer, pas vrai ?
Bernard. Le tuer ? Non certes ; tuer un pays, un camarade peut être, parce que Francine… ? Ah ! j'avais mérité ça, moi, et je dois me soumettre.
Le Drac. Tu ne veux pas te venger ? Alors pourquoi veux-tu savoir ?…
Bernard. Pour savoir, v'là tout ; mais, toi, d'où sais-tu ?
Le Drac. Francine me l'a dit.
Bernard, se parlant à lui-même, haut. Alors qu'elle me le dise donc, à moi aussi ! Au lieu de m'accuser injustement, qu'elle me rende au moins son estime, qu'elle ait confiance en moi ! Oui, je vas l'attendre ; oui, je vas lui parler, tant pis ! Faut être honnête homme et vrai ami avant tout ; faut lui rendre sa parole, faut pas l'empêcher d'être heureuse… heureuse avec un autre !… (Il cache sa figure dans son mouchoir.)
Le Drac, à part. Quoi ! je ne puis le pousser ni au désespoir, ni à la vengeance ! Quelle puissance l'arme ainsi contre moi ? Qu'y a-t-il donc de si fort dans le cœur de l'homme ?
Bernard, essuyant ses yeux. Allons, c'est dit, c'est décidé, je ferai mon devoir. Je vas lui parler devant son père, lui faire mes adieux… Ôte-toi de là, petit ! (Le Drac est allé se placer contre la porte par où sont sortis André et Francine.)
Le Drac. Non, écoute ! Francine t'accuse, mais son père résiste. Il dit que tu es riche.
Bernard. Moi ? Mais non !
Le Drac, écoutant toujours. Il le croit ! D'ailleurs, tu es décoré. Sa vanité en est flattée. Il forcera Francine à t'épouser.
Bernard. La forcer ? Non, non ! je suis là ; ôte-toi donc que j'aille leur dire…
Le Drac, le ramenant sur le milieu de la scène. Qu'est-ce que tu leur diras ? Que tu te soumets, que tu renonces… ?
Bernard. Oui.
Le Drac. Eh bien, le vieux battra sa fille ; il la tuera peut-être !
Bernard. Qu'est-ce que tu dis ? Il n'est pas capable de ça !
Le Drac. Il y a longtemps que tu ne l'avais vu ? Il est devenu presque fou.
Bernard. Ah ! c'est donc ça que tout à l'heure… ?
Le Drac. D'ailleurs, Francine est craintive ; elle cédera, elle t'épousera… et elle te trompera !
Bernard. Non, Francine n'a qu'une parole.
Le Drac. Alors elle mourra de chagrin.
Bernard. Ah ! voilà le pire ! Comment donc faire ?
Le Drac. Il ne faut pas la revoir, il faut t'en aller, et lui écrire que c'est toi qui ne veux pas d'elle. Comme ça, son père la laissera tranquille.
Bernard. C'est vrai. T'es pas bête, toi ! Mais, moi, je suis trop malheureux ! Allons, je m'en vas, j'écrirai demain. (Il veut s'en aller.)
Le Drac. Non pas, tout de suite.
Bernard. Avec quoi ? J'ai rien.
Le Drac , courant à la cheminée. Tiens ! un charbon… sur le mur.
Bernard. Allons ! (Il écrit.) « Francine, adieu ! »
Le Drac. C'est pas assez.
Bernard. Comment, c'est pas assez ?
Le Drac. Non, faut que son père croie que ça vient de toi.
Bernard. Quoi mettre ? (Écrivant.) « Je…»
Le Drac. Je t'oublie !
Bernard. C'est pas vrai.
Le Drac. C'est pour ça !
Bernard, écrivant. « Je t'oublie !» Ça y est. Malheur !
Le Drac. À présent, signe et va-t'en.
Bernard. C'est fait ; mais jamais de ma vie je n'ai écrit de mensonge pareil ! Ah ! Francine, j'en mourrai, c'est sûr. Malheur ! ah ! malheur ! (Il sort.)
Scène XV
Le Drac, seul. Oui, trois fois malheur, comme dans ton rêve. Mais ce que tu as eu la faiblesse d'écrire ne suffit pas à ma vengeance ! (Il fait apparaître sur l'inscription, au lieu des mots Je t'oublie, les mots Je te méprise.)
Acte Troisième
Scène Première
Le Drac, seul.
Il fait nuit. Bruit du vent et de la mer. Pas de lampe allumée.
Lugubre nuit, tu faisais les délices du drac aux ailes puissantes ! Il aimait à se laisser bercer par l'orage, à jouer avec les formes capricieuses que l'écume dessine au front des vagues. Son regard était un météore, sa voix une harmonie, son haleine un parfum, sa pensée une extase ! Et voilà que, faible et petit, abandonné de ses frères, haï des hommes, il subit une passion fatale ! O roi des elfes, souverain des grottes profondes, père des libres esprits de la mer, aie pitié du malheureux qui t'implore ! Rends-lui sa forme éthérée, rends-lui son vol infatigable, rends-lui la sérénité de son âme immortelle ! Délivre-le de ce corps chétif où son essence divine est enfermée dans une prison !… Mais il ne m'écoute pas, il ne peut plus m'entendre ! Je ne sais plus la langue mystérieuse qui plane sur les flots d'un horizon à l'autre. Ma voix ne dépasse plus les murs de cette cabane, et, quand je crie sur le rivage, la plus petite vague parle plus haut et mieux que moi. O tourment de l'impuissance ! horreur des ténèbres ! ma vue ne perce plus le voile des nuits brumeuses, l'étoile ne me sourit plus derrière le nuage, et, si j'aperçois encore quelques esprits emportés dans la rafale, leur gaieté me consterne et leur face pâle me fait peur !… Ah ! de la lumière !…
Scène II
André, Le Drac.
André, sortant de sa chambre avec une lumière.
Tiens, t'es là, toi ? Tu t'es donc pas couché, ou t'es déjà levé ?
Le Drac.
Vous ne savez donc pas l'heure, patron ?
André, regardant le coucou.
Cinq heures du matin !
Le Drac.
Et vous n'avez pas dormi, vous ! Toute la nuit vous avez tourmenté, grondé, questionné, menacé Francine !
André.
Quéque ça te fait, à toi ? T'écoutes donc aux portes ?
Le Drac.
Non ; mais vous parliez si haut et les murs sont si minces, que, de mon lit de paille, j'entendais malgré moi.
André.
Fallait pas entendre. Sais-tu ? y a longtemps que je me doute de quéque chose qui ne me convient pas !…
Le Drac.
Quoi donc, patron ?
André.
Tu te permets de penser à Francine, et ça ne vaut rien à ton âge ! C'est trop tôt… D'ailleurs, t'es rien qu'un petit vagabond, et j'entends pas… Suffit ! tu m'entends.
Le Drac, à part.
Ah ! Nicolas aimait Francine… d'un autre amour que moi !… Et à présent, moi, je l'aime donc comme il l'aimait !
André.
À quoi que tu penses ? Voyons, faut t'en aller à la mer.
Le Drac, tressaillant.
À la mer ?… Ah ! oui, pêcher encore !
André, rudement.
Tous les jours !
Le Drac, préparant une lanterne et des cannes pour la pêche aux coquillages.
On y va, patron !
André, s'asseyant, à part.
C'est trop tard pour se coucher ; mais une nuit blanche, comme ça, à mon âge… (Il s'accoude sur la table. Haut.) Dis donc, toi, tu l'as pas vu partir, Bernard ?
Le Drac.
Si, je l'ai vu !
André.
Qu'est-ce qu'il t'a dit ?
Le Drac.
Qu'il ne reviendrait jamais !
André, frappant du poing sur la table.
Malheur ! c'est la faute à Francine ! (À part.) Quand je pense qu'il a cinquante mille francs en beaux louis d'or, qu'il me les a confiés, qu'ils sont là, et que ça pourrait être à nous, si Francine avait voulu ! Ah !… (Il s'endort.)
Le Drac, qui l'a écouté et qui s'est approché furtivement.
De l'or, beaucoup d'or ! c'est le rêve du pauvre ! Vieillard courbé sous la fatigue, tu vas mourir sous ton toit de roseaux, bien heureux encore d'avoir pu recueillir quelques débris pour construire ta demeure au bord de l'abîme. Le vent d'hiver secouera ta porte mal jointe, la pluie ruissellera contre tes vitres enfumées… et tu pourrais acheter une villa dans la plaine, loin de ces noirs écueils, rêver sous les arbres de ton jardin…
André, rêvant.
Des tilleuls, des pommiers…
Le Drac.
Oui, c'est le rêve de celui qui n'a pour horizon que des buissons épineux, des roches décharnées, des sapins au noir feuillage ! Avec de l'or, on a tout, des fleurs, des gazons, les murailles blanches d'un joli domaine, avec un banc vert sous le berceau de jasmin jaune, et au loin, bien loin, l'horizon bleu de la mer, l'ancienne maîtresse fantasque et farouche devenue l'amie des souvenirs de vieillesse !
André, rêvant.
Et, dans la salle à manger, des images en couleur qui vous font voir au naturel…
Le Drac.
Les naufrages dont on est sorti, les désastres qu'on ne craint plus.
André.
Ah ! oui, oui !… riche !
Le Drac.
Eh bien, tu peux l'être. Bernard t'a confié un trésor, nul ne le sait !… Bernard est parti furieux, la tête perdue… Quand il reviendra, tu peux lui dire : « Quel argent m'as-tu confié ? où sont les témoins ? où est la preuve ? »
André, se secouant et se levant.
Non ! oh ! non, par exemple ! Pouah ! v'là un vilain rêve ! C'est pas joli, tout ça. Est-ce que je dormais ? (Voyant le Drac.) Ah ! t'es encore là, faignant ?
Le Drac.
Vous rêviez tout haut, patron ; vous disiez…
André.
Ce qu'on dit en dormant, c'est rien, c'est des bêtises, ça compte pas !… Allons, es-tu prêt ? J'vas t'aider à descendre tout ça. (Il se charge d'engins de pêche.)
Le Drac, à part.
Ah ! toujours échouer quand je parle à leur âme ! Je ne peux rien que par le mensonge ! (Haut.) Dites donc, patron, pourquoi que vous le regrettez tant que ça, ce méchant Bernard ?
André.
Il n'est pas méchant.
Le Drac.
Ah ! par exemple, si ! Voyez donc ce qu'il a écrit là, sur le mur, en partant ?
André.
Y a quéque chose d'écrit ? J'avais pas fait attention. Qu'est-ce qu'il y a ? Dis !… Je sais pas lire, moi !
Le Drac.
Si je vous le dis, vous ne voudrez pas me croire ; mais demandez à Francine, la v'là.
Scène III
André, Le Drac, Francine.
Francine.
Mon père, faut vous reposer. À la fin, vous serez malade !
André.
C'est pas tout ça ! Qu'est-ce qu'il y a d'écrit là ?
Francine.
Là ? Francine, adieu ! Je… je te méprise ! (Tombant sur une chaise.) Ah ! vous voyez comme il est corrigé ! vous voyez comme il m'aime !
André.
Et c'est signé ?
Francine.
Oui, c'est signé.
André, jetant le panier qu'il tenait.
Mais… c'est une insulte, ça !
Le Drac, bas.
Et, si vous supportez ça, votre fille elle-même va vous mépriser !
André, haut.
Je ne veux pas le supporter ; je m'en vas le trouver à son bord, et, devant tout l'équipage, je lui dirai qu'il est un lâche !
Francine, se levant.
Mon père, il vous tuera ! il m'en a menacée !
Le Drac, bas, à André.
Dites rien devant elle, et venez. J'ai vu Bernard descendre au rivage et entrer chez Antoine. Il y aura sûrement couché, vous le prendrez au lit. Antoine vous soutiendra.
André, bas.
Oui, t'as raison, viens avec moi.
Francine.
Qu'est-ce que vous avez dit tout bas ? Où est-ce que vous allez, mon père ?
André.
Je vais embarquer Nicolas pour la pêche.
Francine.
Et vous n'irez pas…
Le Drac, bas, à Francine.
Non, non, je vous réponds de lui.
Scène IV
Francine, seule.
Oh ! celui-là, je ne me fie point à sa parole. Mon père a une mauvaise idée ! J'ai eu tort de lui dire… Et Bernard aussi a une idée de nous faire du mal, car je l'ai vu de ma fenêtre. Il n'était point parti… Il marchait du côté du grand rocher. (Elle va au fond.) Ah ! je le vois, c'est lui, j'en suis sûr. Eh bien, faut que je lui parle, faut le prendre par la bonté si je peux, ou faut le gronder sans le craindre ; enfin faut empêcher un malheur. Il ne me voit pas ou il ne veut pas me voir… Bernard !… Mon Dieu ! pourvu que mon père ne m'entende pas !… Non, il est déjà loin. Bernard !… Il m'a vue, il vient, il court. Mon Dieu ! mon Dieu ! qu'est-ce que je vas lui dire ?
Scène V
Bernard, Francine.
Bernard.
J'ai pas rêvé, Francine ? Tu m'as appelé ?
Francine.
Oui. Écoutez-moi. Vous ne m'aimez point, ou vous m'aimez très-mal, comme un homme sans bonté et sans religion peut aimer. Vous m'avez trompée la première fois. Je vous croyais de bonne parole. Vous êtes revenu au bout d'une heure, et ce que vous m'avez proposé, c'est infâme, entendez-vous ?
Bernard.
Doucement ; laissez-moi dire aussi, Francine. Je suis revenu parce que votre père me demandait, et je ne vous ai vue alors que devant lui, après lui avoir parlé ; ainsi, je n'ai pu vous offenser en aucune manière.
Francine.
Si vous ne vous souvenez pas de ce que vous dites et des personnes à qui vous parlez, comment donc faire pour s'entendre avec vous ?
Bernard.
Si je vous respectais pas comme je respecte ma sœur, je vous dirais que c'est vous, Francine, qui rêvez des choses qui ne sont pas.
Francine.
Allons, c'est inutile de vous parler. Sans doute que le vin vous enlève toute idée d'un moment à l'autre.
Bernard.
Le vin ? J'ai fait serment, il y a un an, de n'en plus goûter, non plus qu'aux autres choses qui font perdre la raison, et j'ai tenu parole, je le jure !
Francine.
Vous n'étiez pas ivre quand mon père est rentre ?
Bernard.
Devant Dieu, non !
Francine.
Et vous n'avez pas voulu m'emmener de force ? Et vous n'avez pas menacé de tuer mon père, si je l'appelais ?
Bernard.
Par mon honneur et par le tien, Francine, non ! Par l'âme de ta mère, non ! Par la justice de Dieu, qui viendra peut-être à mon secours, non !
Francine.
Et vous n'avez pas écrit que vous me méprisiez.
Bernard.
Jamais !
Francine, montrant la muraille.
Mais regardez donc !
Bernard.
Ah ! j'ai jamais écrit ce mot-là !… On m'a dit que t'en aimais un autre, que ton père voulait te forcer à m'épouser ; je me suis soumis, je me soumets. J'en deviendrai fou ou j'en mourrai, ça me regarde ; mais, depuis le jour où j'ai quitté le pays jusqu'au moment ou nous voilà, j'ai rien fait de mal, Francine, et je t'ai aimée comme un homme d'honneur doit aimer une fille de bien. J'ai été un fou, dans le temps, et mêmement, par des fois, dans le vin, un fou furieux ; mais je n'ai jamais été un lâche ! Non, souviens-toi ! Quand ton frère est venu me reprocher ma conduite, c'était au cabaret. Il avait bu aussi, et nous ne nous reconnaissions pas l'un l'autre. Quand j'ai manqué à ton père, c'est qu'il m'avait poussé à bout dans un moment où je me défendais de mon chagrin, car j'avais du chagrin, tu le sais bien, de te quitter. J'ai toujours dit que je t'aimais, c'était la vérité. J'ai toujours juré que je reviendrais, et me voilà revenu, — que je voulais te tenir parole, et je l'aurais tenue ! De loin comme de près, dans le vin comme dans la raison, j'ai parlé et pensé de toi et de ta mère comme de deux anges du bon Dieu ! Non, non, jamais j'ai eu seulement l'idée de te trahir ! Je voulais servir mon pays… Dame, en temps de guerre… Si t'étais un homme, tu comprendrais ça !… J'ai jamais été un mauvais sujet auparavant, tu le sais bien. Je le suis devenu pour t'étourdir sur ton regret et sur le mien, et ça n'a duré que trois mois dans toute ma vie ! Pas plus tôt à bord, j'étais guéri, j'étais sage, et j'étais amoureux de toi comme par le passé. Je ne pensais plus qu'à revenir avec beaucoup d'honneur pour te faire plaisir, et j'aurais été chercher ma croix au fin fond de la mer, si j'avais pas pu l'attrapper au milieu du feu où ce que je l'ai trouvée ! Tout ça, c'était pour toi, Francine ; mais à quoi sert tout ce que je dis là ? Tu ne me crois plus, c'est-à-dire que tu ne veux plus me croire. Tu m'inventes des torts que je n'ai pas. Tout ça, vois-tu, je ne veux pas te dire que c'est mal ; mais c'est inutile. T'étais dans ton droit de m'oublier et mêmement de te venger de moi. J'ai rien à dire. La punition est grande, faut savoir l'endurer. Je ne voulais plus te voir, Francine, tu m'as appelé… Eh bien, reçois mes adieux ; je m'en vas pour toujours ! Seulement, laisse-moi effacer ça : c'est quelque méchant cœur qui a inventé ça pour que tu me méprises, toi ! (Il efface les paroles du mur.) Il y a ici quelqu'un de bien lâche ! Oh ! oui, c'est lâche, d'achever comme ça un malheureux !
Francine.
Voyons, écoute. Qu'est-ce qui t'a dit que j'en aimais un autre ?
Bernard.
Ah ! qu'est-ce que ça fait, à présent, celui qui me l'a dit ?
Francine, vivement.
C'est le drac ?
Bernard, abattu.
Le drac ? quel drac ? où prends-tu l'idée du drac ?
Francine.
Tu ne crois pas à ça ?
Bernard.
J'y croyais quand j'étais enfant. C'est des histoires que les gens de la côte font comme ça !
Francine.
Et sur la mer on ne fait pas d'autres histoires !… Écoute-moi bien : mon père prétend que, sur les navires, dans les gros temps, lorsqu'on est douze, on en voit tout d'un coup un treizième qui ne s'était point embarqué ?
Bernard.
Le treizième ? C'est vrai ! Je l'ai vu, moi, je l'ai vu une fois !
Francine.
Eh bien, comment est-ce qu'il était fait, le treizième ?
Bernard.
Comme Michel le timonier. Pauvre Michel ! Nous étions partis douze, nous nous sommes trouvés treize en mer !… En rentrant, nous n'étions plus que onze, Michel avait suivi son double au fond de l'eau.
Francine.
Tu dis bien que c'était son double ?
Bernard.
Oui, celui qu'on voit comme ça, c'est toujours le double d'un de ceux qui sont là à bord… Mais qu'est-ce que ça te fait, tout ça, Francine ?
Francine, vivement.
Dis toujours, dis !
Bernard.
Francine, est-ce que tu aurais vu mon double aujourd'hui ?
Francine.
Oui, je l'ai vu !
Bernard.
Où ça ?
Francine.
Ici, et c'est lui qui est cause de tout, j'en suis sûre ; car, vois-tu, je ne peux pas douter de toi après les serments que tu viens de me faire, et j'aime mieux croire des choses que je n'avais jamais voulu croire ! Ah ! Bernard, toi aussi, tu as vu un mauvais esprit qui t'a trompé, car je n'ai jamais aimé et je n'aimerai jamais que toi !
Bernard.
Francine, ma chère Francine !… Ah ! tu dis la vérité, oui, je te crois, et, à cette heure, je veux bien mourir !
Francine.
Mourir ? Pourquoi donc, mon Dieu ?
Bernard.
Tu ne sais donc pas que, lorsqu'on voit son double, c'est signe de mort dans les vingt-quatre heures.
Francine.
Mais faut qu'on le voie soi-même, et tu ne l'as pas vu ! Dis, Bernard, tu ne l'as jamais vu ?
Bernard.
Non ; mais si j'allais le voir !
Francine, vivement.
Reste pas ici. S'il revenait !
Bernard.
Oh ! quand ces choses-là paraissent, il n'y a ni terre ni mer pour les empêcher !
Francine.
Si fait ! y a la maison du bon Dieu. Va, Bernard ! va vite !
Bernard.
Où donc ? À la petite chapelle ? Je voulais y aller tout à l'heure, mais j'avais pas le cœur à prier.
Francine.
Faut y retourner. C'est la bonne Dame de la mer, c'est la patronne chérie aux marins de l'endroit. Tu lui feras un vœu.
Bernard.
Quel vœu ?
Francine.
Le vœu de pardonner au premier méchant qui te fera offense et dommage.
Bernard.
Ça y est. Mais toi ?
Francine.
Moi, je vas expliquer tout ça à mon père et le faire revenir de sa colère. Et puis j'irai chercher le capelan. Je lui ferai bénir la maison et le sentier ; car, pour sûr, elle est hantée, notre pauv' maison ! Et, quand tout ça sera fait, quand je n'aurai plus peur de rien, je mettrai le mouchoir blanc où tu m'as dit de le mettre. Va vite ! J'entends mon père qui remonte du rivage.
Bernard.
Dis-moi encore que tu n'aimes que moi !
Francine.
Je n'aime que toi ! (Il sort.)
Scène VI
Francine, seule, au fond, regardant du côté du rivage.
C'est pas mon père… c'est ce méchant drac ! C'est lui qui veut amener le malheur chez nous ! Quoi faire contre lui ? Prier le bon Dieu ; oui, il n'y a que ça. (Elle s'agenouille.)
Scène VII
Francine, Le Drac.
Le Drac, agité.
Que fais-tu là, Francine ? Ôte-toi de là !
Francine.
Non ; je demande du secours contre toi, et j'en aurai !
Le Drac.
À qui demandes-tu secours ?
Francine.
À celui que tu ne connais pas.
Le Drac.
Si, je le connais… Je le connaissais du moins avant d'être homme ; car, dans la nature, il n'y a que l'homme qui ose et qui sache nier Dieu !
Francine, se levant.
Tu dis son nom, et il ne te brùle pas la langue ? Tu n'es donc pas… ?
Le Drac.
Non, je ne suis pas l'esprit du mal. Cet esprit-là, Francine, n'existe que dans l'imagination de tes semblables.
Francine.
Et pourquoi est-il dans ton cœur ?
Le Drac.
Ah ! que me dis-tu là ! Il n'est donc pas dans le tien ?… Oui, je me souviens, quand j'étais saintement épris de toi, c'est la pureté de ton âme qui me charmait. Ah ! Francine, j'étais alors le frère de ton bon ange !
Francine.
Et tu es devenu le frère du mauvais ?
Le Drac.
Non, je suis devenu homme !
Francine.
Eh bien, si tu es devenu ce que tu dis, tu peux encore être sauvé. Je vas prier pour toi.
Le Drac.
Où donc vas-tu prier ?
Francine.
Dans la chambre où ma pauvre mère est morte, à côté de son lit. Quand je suis là, je m'imagine que je la vois et que nous prions toutes les deux ; ça fait que je prie mieux là qu'ailleurs.
Le Drac.
Et que vas-tu demander pour moi ?
Francine.
Que le bon Dieu t'ôte l'envie et le pouvoir de faire du mal.
Le Drac, ému.
Eh bien, va, Francine, et prie de tout ton cœur. (Elle entre dans sa chambre.)
Scène VIII
Le Drac, puis Le Faux Bernard, invisible.
Le Drac, regardant Francine.
Elle prie pour moi !… Elle m'aime donc ?… Non, c'est pour Bernard qu'elle prie en demandant au ciel de me guérir. Ah ! perfidie de la femme ! je ne serai pas ta dupe ! (Il ferme la porte de Francine.) Je ne peux plus connaître qu'un plaisir, la vengeance : soit ! — Fantôme, à moi !
Voix du Fantôme, sous terre.
Je suis là !
Le Drac.
Où est Bernard ?
La Voix.
Près d'ici.
Le Drac.
Quand les marins voient leur double, la peur les fait mourir ?
La Voix.
Oui.
Le Drac.
Va trouver Bernard !
La Voix.
Non !
Le Drac.
Montre-toi à lui, je le veux.
La Voix.
Je ne peux pas.
Le Drac.
Pourquoi donc ?
La Voix.
Il est gardé !
Le Drac.
Par qui ?
La Voix.
Par la prière.
Le Drac.
Quelle prière ?
La Voix.
Celle de l'amour.
Le Drac.
Celle de Francine ?
La Voix.
Tu l'as dit !
Le Drac.
Va-t'en et ne reparais plus.
La Voix.
Peut-être.
Scène IX
Le Drac, seul.
Peut-être ? Qu'est-ce à dire ? Les visions elles-mêmes me résistent, et je ne suis plus le roi des mirages ? Oui, je le vois, l'homme n'a qu'une force, la haine ou l'amour ; mais ces forces sont grandes, et je les sens se développer en moi. Oh ! chaque instant qui s'écoule m'enlève une faculté divine et m'apporte un instinct funeste ! Allons, il faut que tu périsses, Bernard, et même, sans le secours de cette faible main, c'est ma volonté qui te tuera.
Scène X
Le Drac, André.
André.
Eh bien, es-tu prêt ? Nous partons.
Le Drac.
Vous voulez toujours aller à bord du Cyclope ?
André.
Oui.
Le Drac.
Eh bien, vous vous trompez, patron, il est tout près d'ici.
André.
Ah ! où donc ?
Le Drac.
Quand vous serez prêt à le recevoir, je le ferai venir.
André.
Fais vite ; je suis prêt.
Le Drac.
Non, vous n'êtes pas le plus fort.
André.
Tu m'aideras.
Le Drac.
Vous êtes donc bien décidé à le tuer ?
André.
Le tuer… moi ? C'est sérieux de tuer un homme et un marin de l'État ! Je veux lui flanquer une paire de soufflets, v'là tout.
Le Drac.
Il vous écrasera comme une mouche !
André.
Ça m'est égal !
Le Drac.
Il vous a déjà battu dans le temps, et il a manqué tuer votre garçon, qui était deux fois fort comme vous.
André.
C'est pour ça ! J'ai ça su' le cœur, y a trop longtemps !
Le Drac, insinuant.
Et puis il est riche, et l'argent est là…
André.
Ah ! tu m'y fais penser, à son magot. (Allant à l'armoire.) Je veux d'abord lui rendre ça ; je ne veux pas qu'il croie… Je veux lui jeter le tout à la figure ! Qu'est-ce que c'est que ça ? Des coquilles ? (Il renverse le contenu du tiroir et reste stupéfait.)
Le Drac, riant.
Il vous a joué là un bon tour, patron.
André.
Il s'est moqué de moi !
Le Drac.
Il s'est donné pour riche, et il n'avait rien !
André.
Si fait, j'ai vu les doubles louis.
Le Drac.
Vous étiez à jeun ?
André.
Non, j'avais bu un peu de rhum chez Antoine ; mais…
Le Drac.
Alors tout à l'heure il va vous réclamer son argent !
André.
C'est pas malaisé à lui rendre.
Le Drac.
Il dira que c'était de l'or, et que vous l'avez volé.
André.
Il dira ça ? il me traitera de voleur, moi ?
Le Drac.
Il ne l'a pas fait pour autre chose que pour vous insulter et vous déshonorer.
André.
Cré vingt dieux ! si c'est ça son idée, faut que je le tue !
Le Drac, à part.
Allons donc ! (Haut.) Comment ? avec quoi ?
André.
J'en sais rien, ça m'est égal !…
Le Drac.
S'il vous tue, lui ?
André.
S'il me tue, la loi le tuera.
Le Drac, bondissant de joie.
Ah bien, attendez !
André.
Qu'est-ce que c'est que ça ?
Le Drac, au fond, plaçant le signal.
C'est le signal convenu entre Francine et lui.
André, allant au fond.
Comment que tu sais ça ?
Le Drac.
Quand il est venu ici la première fois, j'étais caché là, et j'ai entendu.
André.
Je comprends, oui. Eh bien, vient-il ?
Le Drac.
Le v'là, courage !
André.
J'ai pas besoin de courage, j'en ai.
Le Drac.
Jetez-vous sur lui, vite, avant qu'il ait eu le temps de se reconnaître.
André.
Oui, oui ! tu vas voir !
Scène XI
Les Mêmes, Le Faux Bernard.
André, voulant lui arracher sa croix.
Malheureux, t'es pas digne de la porter ! (Il recule comme repoussé par une force magique.)
Le Drac, au Spectre.
Allons, c'est un outrage ! frappe ! (À André.) À toi donc !
André, au Spectre.
Lâche ! t'es un lâche ! (Il veut encore se jeter sur le Spectre et va tomber comme foudroyé à quelques pas de lui.) Ah ! il a un charme, le lâche !
Le Drac, au Spectre.
Quel pouvoir magique as-tu donc invoqué, toi ? Réponds ! as-tu fait vœu de silence ? as-tu fait un pacte avec… ?
Le Faux Bernard.
N'est-il pas de puissance supérieure à celle du mal ?
Le Drac.
Ah ! tu prétends… Et tu veux lutter contre moi ! Soit ; l'énergie m'est venue… la haine m'a retrempé… Ose te mesurer avec le drac…
Le Faux Bernard, reculant.
Non.
Le Drac.
Ah ! tu me reconnais enfin ? Oui, tu fuis mon regard… tu trembles ! (À André.) À toi maintenant !
André, se relevant.
Ah ! mon Dieu ! ah ! il m'a comme tué ! (Le jour commence, la Spectre disparaît par la fenêtre.)
Scène XII
André, Le Drac.
André, criant.
Ah !…
Le Drac.
Le précipice ! Il est perdu !
André, courant à la fenêtre.
Il est donc fou ?
Le Drac.
Non, l'enfer le protège ; il se retient, il rampe… il se relève ! Prodige ! il a franchi l'abîme, il fuit ; il nous raille, il nous menace !
André.
Ah ! démon ! si j'avais…
Le Drac.
Quoi ? une arme ?… Tiens ! (Il prend un pistolet à la muraille.)
Scène XIII
Les Mêmes, Bernard, Francine.
Bernard parait en haut de l'escalier en même temps qu'André fait feu sur le Spectre par la fenêtre. Il fait jour.
Le Drac, sans voir Bernard.
Tombé ?
André.
Oui.
Le Drac, regardant avec joie.
Sanglant, meurtri, défiguré !
Bernard.
Qui donc ?
André et Le Drac, ensemble.
Bernard ! lui !
Bernard.
Mais oui, moi ! Ne m'avez-vous pas mis le signal ?
André.
Non, ce n'est pas lui, c'est un fantôme !
Le Drac.
Oui, oui, le fantôme ! Bernard n'est plus, voyez ! Vois, Francine, il est là, brisé… Celui dont tu tiens la main est un spectre !
Francine, avec enthousiasme.
Non ! je la tiens bien, sa main fidèle et honnête ! Ma mère a prié pour lui, et pour toi aussi, pauvre drac ; tu vas être délivré, j'en suis sûre !
Le Drac.
Non.
André.
Le drac ! Bernard ! un double !
Francine, empêchant Bernard d'aller à la fenêtre.
Ne regarde pas, Bernard !
Le Drac, a la fenêtre.
Il n'y est plus, le rêve s'est évanoui au premier rayon du soleil. Le soleil ! il vient, il monte, il dissipe les terreurs de la nuit, et, jusqu'à ce soir, je ne peux plus les évoquer !…
André.
Sors d'ici, maudit !
Le Drac.
Laissez, laissez-moi ! Pour aujourd'hui, je suis assez châtié : mon pouvoir s'est tourné contre moi-même, et j'ai été le jouet du spectre qui devait m'obéir ; mais vous ne pouvez rien contre moi, vous autres, et, chaque nuit, je viendrai troubler vos fêtes et empoisonner vos joies. Le premier-né de votre amour m'appartient. Je troublerai sa raison, je lui prendrai son âme ! Francine, tu pleureras sur un berceau, tu pleureras des larmes de sang !
Bernard, menaçant.
Malheureux !… Tiens, va-t'en !
Francine, le retenant.
Ton vœu, Bernard ! (Le Drac tombe à demi, comme épuisé.)
Bernard.
C'est vrai, oui ; mais voyez donc comme il devient pâle ! Ses yeux se perdent…
Francine.
Est-ce qu'il va, est-ce qu'il peut mourir ?
Le Drac, luttant contre une force invisible.
Non, c'est cette âme embrasée qui s'échappe… Le corps veut lutter, il luttera… Qu'est-ce donc ? La mer m'appelle !… Non, je ne veux pas ! Je resterai ici… Je… O terre, retiens-moi ! Je ne suis pas vengé ! Ah ! le soleil ! Rayon terrible !… Pitié !… La mer !… Dieu ! (Il fuit.)
Scène XIV
André, Bernard, Francine.
Bernard, le suivant au fond.
Il s'enfuit, il nous quitte… il s'envole, on dirait… oui. Mon Dieu, comme il change de figure !
Francine.
Je ne le reconnais plus : c'est comme un ange !
Bernard.
Non, c'est un nuage.
André.
Non, c'est une vapeur.
Bernard.
Et ce n'est plus rien !
Francine.
Rien ? Si fait, c'est une âme qui a péché et qui souffre ! Prions pour elle. (Elle s'agenouille. André aussi.)
Bernard, debout.
Dieu du ciel, toi qu'es si grand et si fort, des pauvres gens comme nous autres, ça ne sait rien de rien ! mais ça te connaît par ta bonté. J'ai fait un vœu tout à l'heure, qui était de pardonner, même au diable ; mais peut-être bien que, le diable, c'est une idée que nous avons, et peut-être que, l'enfer, c'est notre mauvaise tète et notre mauvais cœur ! Que ça soit ça ou autre chose, t'es là pour nous guérir, et tant qu'à pardonner, ce que j'ai fait, t'es pas embarrassé pour le faire !… Grâce, mon bon Dieu, grâce pour l'esprit de la plage !
Francine.
Oui, c'était un bon esprit qui voulait faire le mal et qui ne le pouvait pas ! Grâce pour lui, mon Dieu, et pour cette pauvre maison où l'on t'aime !
Voix du Drac, au loin derrière les rochers.
Bonté, lumière… ô mes ailes d'or, ô mon âme pure, je vous retrouve !
Francine.
Ah ! écoutez donc comme la brise de mer chante doux ! on dirait des paroles !
Voix du Drac.
Vague charmante, récifs superbes ! bons pêcheurs… amis, frères ! fraîcheur du matin, doux réveil ! travail, amour, innocence ! ô liberté ineffable !…
Bernard.
Est-ce lui qui chante comme ça ?
Voix du Drac.
Bonheur à toutes les créatures ! Francine, bonheur à toi ! Tu m'as rendu mes ailes…
Francine.
Écoutez.
Voix du Drac.
Francine, sois à jamais bénie !
Bernard.
Ah ! ne craignez plus rien. Mon père, ma femme, nous nous aimerons tant, que tous les esprits du ciel et de la terre seront pour nous !
Scène Première
Le Drac, seul. Il fait nuit. Bruit du vent et de la mer. Pas de lampe allumée.
Lugubre nuit, tu faisais les délices du drac aux ailes puissantes ! Il aimait à se laisser bercer par l'orage, à jouer avec les formes capricieuses que l'écume dessine au front des vagues. Son regard était un météore, sa voix une harmonie, son haleine un parfum, sa pensée une extase ! Et voilà que, faible et petit, abandonné de ses frères, haï des hommes, il subit une passion fatale ! O roi des elfes, souverain des grottes profondes, père des libres esprits de la mer, aie pitié du malheureux qui t'implore ! Rends-lui sa forme éthérée, rends-lui son vol infatigable, rends-lui la sérénité de son âme immortelle ! Délivre-le de ce corps chétif où son essence divine est enfermée dans une prison !… Mais il ne m'écoute pas, il ne peut plus m'entendre ! Je ne sais plus la langue mystérieuse qui plane sur les flots d'un horizon à l'autre. Ma voix ne dépasse plus les murs de cette cabane, et, quand je crie sur le rivage, la plus petite vague parle plus haut et mieux que moi. O tourment de l'impuissance ! horreur des ténèbres ! ma vue ne perce plus le voile des nuits brumeuses, l'étoile ne me sourit plus derrière le nuage, et, si j'aperçois encore quelques esprits emportés dans la rafale, leur gaieté me consterne et leur face pâle me fait peur !… Ah ! de la lumière !…
Scène II
André, Le Drac.
André, sortant de sa chambre avec une lumière. Tiens, t'es là, toi ? Tu t'es donc pas couché, ou t'es déjà levé ?
Le Drac. Vous ne savez donc pas l'heure, patron ?
André, regardant le coucou. Cinq heures du matin !
Le Drac. Et vous n'avez pas dormi, vous ! Toute la nuit vous avez tourmenté, grondé, questionné, menacé Francine !
André. Quéque ça te fait, à toi ? T'écoutes donc aux portes ?
Le Drac. Non ; mais vous parliez si haut et les murs sont si minces, que, de mon lit de paille, j'entendais malgré moi.
André. Fallait pas entendre. Sais-tu ? y a longtemps que je me doute de quéque chose qui ne me convient pas !…
Le Drac. Quoi donc, patron ?
André. Tu te permets de penser à Francine, et ça ne vaut rien à ton âge ! C'est trop tôt… D'ailleurs, t'es rien qu'un petit vagabond, et j'entends pas… Suffit ! tu m'entends.
Le Drac, à part. Ah ! Nicolas aimait Francine… d'un autre amour que moi !… Et à présent, moi, je l'aime donc comme il l'aimait !
André. À quoi que tu penses ? Voyons, faut t'en aller à la mer.
Le Drac, tressaillant. À la mer ?… Ah ! oui, pêcher encore !
André, rudement. Tous les jours !
Le Drac, préparant une lanterne et des cannes pour la pêche aux coquillages. On y va, patron !
André, s'asseyant, à part. C'est trop tard pour se coucher ; mais une nuit blanche, comme ça, à mon âge… (Il s'accoude sur la table. Haut.) Dis donc, toi, tu l'as pas vu partir, Bernard ?
Le Drac. Si, je l'ai vu !
André. Qu'est-ce qu'il t'a dit ?
Le Drac. Qu'il ne reviendrait jamais !
André, frappant du poing sur la table. Malheur ! c'est la faute à Francine ! (À part.) Quand je pense qu'il a cinquante mille francs en beaux louis d'or, qu'il me les a confiés, qu'ils sont là, et que ça pourrait être à nous, si Francine avait voulu ! Ah !… (Il s'endort.)
Le Drac, qui l'a écouté et qui s'est approché furtivement. De l'or, beaucoup d'or ! c'est le rêve du pauvre ! Vieillard courbé sous la fatigue, tu vas mourir sous ton toit de roseaux, bien heureux encore d'avoir pu recueillir quelques débris pour construire ta demeure au bord de l'abîme. Le vent d'hiver secouera ta porte mal jointe, la pluie ruissellera contre tes vitres enfumées… et tu pourrais acheter une villa dans la plaine, loin de ces noirs écueils, rêver sous les arbres de ton jardin…
André, rêvant. Des tilleuls, des pommiers…
Le Drac. Oui, c'est le rêve de celui qui n'a pour horizon que des buissons épineux, des roches décharnées, des sapins au noir feuillage ! Avec de l'or, on a tout, des fleurs, des gazons, les murailles blanches d'un joli domaine, avec un banc vert sous le berceau de jasmin jaune, et au loin, bien loin, l'horizon bleu de la mer, l'ancienne maîtresse fantasque et farouche devenue l'amie des souvenirs de vieillesse !
André, rêvant. Et, dans la salle à manger, des images en couleur qui vous font voir au naturel…
Le Drac. Les naufrages dont on est sorti, les désastres qu'on ne craint plus.
André. Ah ! oui, oui !… riche !
Le Drac. Eh bien, tu peux l'être. Bernard t'a confié un trésor, nul ne le sait !… Bernard est parti furieux, la tête perdue… Quand il reviendra, tu peux lui dire : « Quel argent m'as-tu confié ? où sont les témoins ? où est la preuve ? »
André, se secouant et se levant. Non ! oh ! non, par exemple ! Pouah ! v'là un vilain rêve ! C'est pas joli, tout ça. Est-ce que je dormais ? (Voyant le Drac.) Ah ! t'es encore là, faignant ?
Le Drac. Vous rêviez tout haut, patron ; vous disiez…
André. Ce qu'on dit en dormant, c'est rien, c'est des bêtises, ça compte pas !… Allons, es-tu prêt ? J'vas t'aider à descendre tout ça. (Il se charge d'engins de pêche.)
Le Drac, à part. Ah ! toujours échouer quand je parle à leur âme ! Je ne peux rien que par le mensonge ! (Haut.) Dites donc, patron, pourquoi que vous le regrettez tant que ça, ce méchant Bernard ?
André. Il n'est pas méchant.
Le Drac. Ah ! par exemple, si ! Voyez donc ce qu'il a écrit là, sur le mur, en partant ?
André. Y a quéque chose d'écrit ? J'avais pas fait attention. Qu'est-ce qu'il y a ? Dis !… Je sais pas lire, moi !
Le Drac. Si je vous le dis, vous ne voudrez pas me croire ; mais demandez à Francine, la v'là.
Scène III
André, Le Drac, Francine.
Francine. Mon père, faut vous reposer. À la fin, vous serez malade !
André. C'est pas tout ça ! Qu'est-ce qu'il y a d'écrit là ?
Francine. Là ? Francine, adieu ! Je… je te méprise ! (Tombant sur une chaise.) Ah ! vous voyez comme il est corrigé ! vous voyez comme il m'aime !
André. Et c'est signé ?
Francine. Oui, c'est signé.
André, jetant le panier qu'il tenait. Mais… c'est une insulte, ça !
Le Drac, bas. Et, si vous supportez ça, votre fille elle-même va vous mépriser !
André, haut. Je ne veux pas le supporter ; je m'en vas le trouver à son bord, et, devant tout l'équipage, je lui dirai qu'il est un lâche !
Francine, se levant. Mon père, il vous tuera ! il m'en a menacée !
Le Drac, bas, à André. Dites rien devant elle, et venez. J'ai vu Bernard descendre au rivage et entrer chez Antoine. Il y aura sûrement couché, vous le prendrez au lit. Antoine vous soutiendra.
André, bas. Oui, t'as raison, viens avec moi.
Francine. Qu'est-ce que vous avez dit tout bas ? Où est-ce que vous allez, mon père ?
André. Je vais embarquer Nicolas pour la pêche.
Francine. Et vous n'irez pas…
Le Drac, bas, à Francine. Non, non, je vous réponds de lui.
Scène IV
Francine, seule. Oh ! celui-là, je ne me fie point à sa parole. Mon père a une mauvaise idée ! J'ai eu tort de lui dire… Et Bernard aussi a une idée de nous faire du mal, car je l'ai vu de ma fenêtre. Il n'était point parti… Il marchait du côté du grand rocher. (Elle va au fond.) Ah ! je le vois, c'est lui, j'en suis sûr. Eh bien, faut que je lui parle, faut le prendre par la bonté si je peux, ou faut le gronder sans le craindre ; enfin faut empêcher un malheur. Il ne me voit pas ou il ne veut pas me voir… Bernard !… Mon Dieu ! pourvu que mon père ne m'entende pas !… Non, il est déjà loin. Bernard !… Il m'a vue, il vient, il court. Mon Dieu ! mon Dieu ! qu'est-ce que je vas lui dire ?
Scène V
Bernard, Francine.
Bernard. J'ai pas rêvé, Francine ? Tu m'as appelé ?
Francine. Oui. Écoutez-moi. Vous ne m'aimez point, ou vous m'aimez très-mal, comme un homme sans bonté et sans religion peut aimer. Vous m'avez trompée la première fois. Je vous croyais de bonne parole. Vous êtes revenu au bout d'une heure, et ce que vous m'avez proposé, c'est infâme, entendez-vous ?
Bernard. Doucement ; laissez-moi dire aussi, Francine. Je suis revenu parce que votre père me demandait, et je ne vous ai vue alors que devant lui, après lui avoir parlé ; ainsi, je n'ai pu vous offenser en aucune manière.
Francine. Si vous ne vous souvenez pas de ce que vous dites et des personnes à qui vous parlez, comment donc faire pour s'entendre avec vous ?
Bernard. Si je vous respectais pas comme je respecte ma sœur, je vous dirais que c'est vous, Francine, qui rêvez des choses qui ne sont pas.
Francine. Allons, c'est inutile de vous parler. Sans doute que le vin vous enlève toute idée d'un moment à l'autre.
Bernard. Le vin ? J'ai fait serment, il y a un an, de n'en plus goûter, non plus qu'aux autres choses qui font perdre la raison, et j'ai tenu parole, je le jure !
Francine. Vous n'étiez pas ivre quand mon père est rentre ?
Bernard. Devant Dieu, non !
Francine. Et vous n'avez pas voulu m'emmener de force ? Et vous n'avez pas menacé de tuer mon père, si je l'appelais ?
Bernard. Par mon honneur et par le tien, Francine, non ! Par l'âme de ta mère, non ! Par la justice de Dieu, qui viendra peut-être à mon secours, non !
Francine. Et vous n'avez pas écrit que vous me méprisiez.
Bernard. Jamais !
Francine, montrant la muraille. Mais regardez donc !
Bernard. Ah ! j'ai jamais écrit ce mot-là !… On m'a dit que t'en aimais un autre, que ton père voulait te forcer à m'épouser ; je me suis soumis, je me soumets. J'en deviendrai fou ou j'en mourrai, ça me regarde ; mais, depuis le jour où j'ai quitté le pays jusqu'au moment ou nous voilà, j'ai rien fait de mal, Francine, et je t'ai aimée comme un homme d'honneur doit aimer une fille de bien. J'ai été un fou, dans le temps, et mêmement, par des fois, dans le vin, un fou furieux ; mais je n'ai jamais été un lâche ! Non, souviens-toi ! Quand ton frère est venu me reprocher ma conduite, c'était au cabaret. Il avait bu aussi, et nous ne nous reconnaissions pas l'un l'autre. Quand j'ai manqué à ton père, c'est qu'il m'avait poussé à bout dans un moment où je me défendais de mon chagrin, car j'avais du chagrin, tu le sais bien, de te quitter. J'ai toujours dit que je t'aimais, c'était la vérité. J'ai toujours juré que je reviendrais, et me voilà revenu, — que je voulais te tenir parole, et je l'aurais tenue ! De loin comme de près, dans le vin comme dans la raison, j'ai parlé et pensé de toi et de ta mère comme de deux anges du bon Dieu ! Non, non, jamais j'ai eu seulement l'idée de te trahir ! Je voulais servir mon pays… Dame, en temps de guerre… Si t'étais un homme, tu comprendrais ça !… J'ai jamais été un mauvais sujet auparavant, tu le sais bien. Je le suis devenu pour t'étourdir sur ton regret et sur le mien, et ça n'a duré que trois mois dans toute ma vie ! Pas plus tôt à bord, j'étais guéri, j'étais sage, et j'étais amoureux de toi comme par le passé. Je ne pensais plus qu'à revenir avec beaucoup d'honneur pour te faire plaisir, et j'aurais été chercher ma croix au fin fond de la mer, si j'avais pas pu l'attrapper au milieu du feu où ce que je l'ai trouvée ! Tout ça, c'était pour toi, Francine ; mais à quoi sert tout ce que je dis là ? Tu ne me crois plus, c'est-à-dire que tu ne veux plus me croire. Tu m'inventes des torts que je n'ai pas. Tout ça, vois-tu, je ne veux pas te dire que c'est mal ; mais c'est inutile. T'étais dans ton droit de m'oublier et mêmement de te venger de moi. J'ai rien à dire. La punition est grande, faut savoir l'endurer. Je ne voulais plus te voir, Francine, tu m'as appelé… Eh bien, reçois mes adieux ; je m'en vas pour toujours ! Seulement, laisse-moi effacer ça : c'est quelque méchant cœur qui a inventé ça pour que tu me méprises, toi ! (Il efface les paroles du mur.) Il y a ici quelqu'un de bien lâche ! Oh ! oui, c'est lâche, d'achever comme ça un malheureux !
Francine. Voyons, écoute. Qu'est-ce qui t'a dit que j'en aimais un autre ?
Bernard. Ah ! qu'est-ce que ça fait, à présent, celui qui me l'a dit ?
Francine, vivement. C'est le drac ?
Bernard, abattu. Le drac ? quel drac ? où prends-tu l'idée du drac ?
Francine. Tu ne crois pas à ça ?
Bernard. J'y croyais quand j'étais enfant. C'est des histoires que les gens de la côte font comme ça !
Francine. Et sur la mer on ne fait pas d'autres histoires !… Écoute-moi bien : mon père prétend que, sur les navires, dans les gros temps, lorsqu'on est douze, on en voit tout d'un coup un treizième qui ne s'était point embarqué ?
Bernard. Le treizième ? C'est vrai ! Je l'ai vu, moi, je l'ai vu une fois !
Francine. Eh bien, comment est-ce qu'il était fait, le treizième ?
Bernard. Comme Michel le timonier. Pauvre Michel ! Nous étions partis douze, nous nous sommes trouvés treize en mer !… En rentrant, nous n'étions plus que onze, Michel avait suivi son double au fond de l'eau.
Francine. Tu dis bien que c'était son double ?
Bernard. Oui, celui qu'on voit comme ça, c'est toujours le double d'un de ceux qui sont là à bord… Mais qu'est-ce que ça te fait, tout ça, Francine ?
Francine, vivement. Dis toujours, dis !
Bernard. Francine, est-ce que tu aurais vu mon double aujourd'hui ?
Francine. Oui, je l'ai vu !
Bernard. Où ça ?
Francine. Ici, et c'est lui qui est cause de tout, j'en suis sûre ; car, vois-tu, je ne peux pas douter de toi après les serments que tu viens de me faire, et j'aime mieux croire des choses que je n'avais jamais voulu croire ! Ah ! Bernard, toi aussi, tu as vu un mauvais esprit qui t'a trompé, car je n'ai jamais aimé et je n'aimerai jamais que toi !
Bernard. Francine, ma chère Francine !… Ah ! tu dis la vérité, oui, je te crois, et, à cette heure, je veux bien mourir !
Francine. Mourir ? Pourquoi donc, mon Dieu ?
Bernard. Tu ne sais donc pas que, lorsqu'on voit son double, c'est signe de mort dans les vingt-quatre heures.
Francine. Mais faut qu'on le voie soi-même, et tu ne l'as pas vu ! Dis, Bernard, tu ne l'as jamais vu ?
Bernard. Non ; mais si j'allais le voir !
Francine, vivement. Reste pas ici. S'il revenait !
Bernard. Oh ! quand ces choses-là paraissent, il n'y a ni terre ni mer pour les empêcher !
Francine. Si fait ! y a la maison du bon Dieu. Va, Bernard ! va vite !
Bernard. Où donc ? À la petite chapelle ? Je voulais y aller tout à l'heure, mais j'avais pas le cœur à prier.
Francine. Faut y retourner. C'est la bonne Dame de la mer, c'est la patronne chérie aux marins de l'endroit. Tu lui feras un vœu.
Bernard. Quel vœu ?
Francine. Le vœu de pardonner au premier méchant qui te fera offense et dommage.
Bernard. Ça y est. Mais toi ?
Francine. Moi, je vas expliquer tout ça à mon père et le faire revenir de sa colère. Et puis j'irai chercher le capelan. Je lui ferai bénir la maison et le sentier ; car, pour sûr, elle est hantée, notre pauv' maison ! Et, quand tout ça sera fait, quand je n'aurai plus peur de rien, je mettrai le mouchoir blanc où tu m'as dit de le mettre. Va vite ! J'entends mon père qui remonte du rivage.
Bernard. Dis-moi encore que tu n'aimes que moi !
Francine. Je n'aime que toi ! (Il sort.)
Scène VI
Francine, seule, au fond, regardant du côté du rivage. C'est pas mon père… c'est ce méchant drac ! C'est lui qui veut amener le malheur chez nous ! Quoi faire contre lui ? Prier le bon Dieu ; oui, il n'y a que ça. (Elle s'agenouille.)
Scène VII
Francine, Le Drac.
Le Drac, agité. Que fais-tu là, Francine ? Ôte-toi de là !
Francine. Non ; je demande du secours contre toi, et j'en aurai !
Le Drac. À qui demandes-tu secours ?
Francine. À celui que tu ne connais pas.
Le Drac. Si, je le connais… Je le connaissais du moins avant d'être homme ; car, dans la nature, il n'y a que l'homme qui ose et qui sache nier Dieu !
Francine, se levant. Tu dis son nom, et il ne te brùle pas la langue ? Tu n'es donc pas… ?
Le Drac. Non, je ne suis pas l'esprit du mal. Cet esprit-là, Francine, n'existe que dans l'imagination de tes semblables.
Francine. Et pourquoi est-il dans ton cœur ?
Le Drac. Ah ! que me dis-tu là ! Il n'est donc pas dans le tien ?… Oui, je me souviens, quand j'étais saintement épris de toi, c'est la pureté de ton âme qui me charmait. Ah ! Francine, j'étais alors le frère de ton bon ange !
Francine. Et tu es devenu le frère du mauvais ?
Le Drac. Non, je suis devenu homme !
Francine. Eh bien, si tu es devenu ce que tu dis, tu peux encore être sauvé. Je vas prier pour toi.
Le Drac. Où donc vas-tu prier ?
Francine. Dans la chambre où ma pauvre mère est morte, à côté de son lit. Quand je suis là, je m'imagine que je la vois et que nous prions toutes les deux ; ça fait que je prie mieux là qu'ailleurs.
Le Drac. Et que vas-tu demander pour moi ?
Francine. Que le bon Dieu t'ôte l'envie et le pouvoir de faire du mal.
Le Drac, ému. Eh bien, va, Francine, et prie de tout ton cœur. (Elle entre dans sa chambre.)
Scène VIII
Le Drac, puis Le Faux Bernard, invisible.
Le Drac, regardant Francine. Elle prie pour moi !… Elle m'aime donc ?… Non, c'est pour Bernard qu'elle prie en demandant au ciel de me guérir. Ah ! perfidie de la femme ! je ne serai pas ta dupe ! (Il ferme la porte de Francine.) Je ne peux plus connaître qu'un plaisir, la vengeance : soit ! — Fantôme, à moi !
Voix du Fantôme, sous terre. Je suis là !
Le Drac. Où est Bernard ?
La Voix. Près d'ici.
Le Drac. Quand les marins voient leur double, la peur les fait mourir ?
La Voix. Oui.
Le Drac. Va trouver Bernard !
La Voix. Non !
Le Drac. Montre-toi à lui, je le veux.
La Voix. Je ne peux pas.
Le Drac. Pourquoi donc ?
La Voix. Il est gardé !
Le Drac. Par qui ?
La Voix. Par la prière.
Le Drac. Quelle prière ?
La Voix. Celle de l'amour.
Le Drac. Celle de Francine ?
La Voix. Tu l'as dit !
Le Drac. Va-t'en et ne reparais plus.
La Voix. Peut-être.
Scène IX
Le Drac, seul. Peut-être ? Qu'est-ce à dire ? Les visions elles-mêmes me résistent, et je ne suis plus le roi des mirages ? Oui, je le vois, l'homme n'a qu'une force, la haine ou l'amour ; mais ces forces sont grandes, et je les sens se développer en moi. Oh ! chaque instant qui s'écoule m'enlève une faculté divine et m'apporte un instinct funeste ! Allons, il faut que tu périsses, Bernard, et même, sans le secours de cette faible main, c'est ma volonté qui te tuera.
Scène X
Le Drac, André.
André. Eh bien, es-tu prêt ? Nous partons.
Le Drac. Vous voulez toujours aller à bord du Cyclope ?
André. Oui.
Le Drac. Eh bien, vous vous trompez, patron, il est tout près d'ici.
André. Ah ! où donc ?
Le Drac. Quand vous serez prêt à le recevoir, je le ferai venir.
André. Fais vite ; je suis prêt.
Le Drac. Non, vous n'êtes pas le plus fort.
André. Tu m'aideras.
Le Drac. Vous êtes donc bien décidé à le tuer ?
André. Le tuer… moi ? C'est sérieux de tuer un homme et un marin de l'État ! Je veux lui flanquer une paire de soufflets, v'là tout.
Le Drac. Il vous écrasera comme une mouche !
André. Ça m'est égal !
Le Drac. Il vous a déjà battu dans le temps, et il a manqué tuer votre garçon, qui était deux fois fort comme vous.
André. C'est pour ça ! J'ai ça su' le cœur, y a trop longtemps !
Le Drac, insinuant. Et puis il est riche, et l'argent est là…
André. Ah ! tu m'y fais penser, à son magot. (Allant à l'armoire.) Je veux d'abord lui rendre ça ; je ne veux pas qu'il croie… Je veux lui jeter le tout à la figure ! Qu'est-ce que c'est que ça ? Des coquilles ? (Il renverse le contenu du tiroir et reste stupéfait.)
Le Drac, riant. Il vous a joué là un bon tour, patron.
André. Il s'est moqué de moi !
Le Drac. Il s'est donné pour riche, et il n'avait rien !
André. Si fait, j'ai vu les doubles louis.
Le Drac. Vous étiez à jeun ?
André. Non, j'avais bu un peu de rhum chez Antoine ; mais…
Le Drac. Alors tout à l'heure il va vous réclamer son argent !
André. C'est pas malaisé à lui rendre.
Le Drac. Il dira que c'était de l'or, et que vous l'avez volé.
André. Il dira ça ? il me traitera de voleur, moi ?
Le Drac. Il ne l'a pas fait pour autre chose que pour vous insulter et vous déshonorer.
André. Cré vingt dieux ! si c'est ça son idée, faut que je le tue !
Le Drac, à part. Allons donc ! (Haut.) Comment ? avec quoi ?
André. J'en sais rien, ça m'est égal !…
Le Drac. S'il vous tue, lui ?
André. S'il me tue, la loi le tuera.
Le Drac, bondissant de joie. Ah bien, attendez !
André. Qu'est-ce que c'est que ça ?
Le Drac, au fond, plaçant le signal. C'est le signal convenu entre Francine et lui.
André, allant au fond. Comment que tu sais ça ?
Le Drac. Quand il est venu ici la première fois, j'étais caché là, et j'ai entendu.
André. Je comprends, oui. Eh bien, vient-il ?
Le Drac. Le v'là, courage !
André. J'ai pas besoin de courage, j'en ai.
Le Drac. Jetez-vous sur lui, vite, avant qu'il ait eu le temps de se reconnaître.
André. Oui, oui ! tu vas voir !
Scène XI
Les Mêmes, Le Faux Bernard.
André, voulant lui arracher sa croix. Malheureux, t'es pas digne de la porter ! (Il recule comme repoussé par une force magique.)
Le Drac, au Spectre. Allons, c'est un outrage ! frappe ! (À André.) À toi donc !
André, au Spectre. Lâche ! t'es un lâche ! (Il veut encore se jeter sur le Spectre et va tomber comme foudroyé à quelques pas de lui.) Ah ! il a un charme, le lâche !
Le Drac, au Spectre. Quel pouvoir magique as-tu donc invoqué, toi ? Réponds ! as-tu fait vœu de silence ? as-tu fait un pacte avec… ?
Le Faux Bernard. N'est-il pas de puissance supérieure à celle du mal ?
Le Drac. Ah ! tu prétends… Et tu veux lutter contre moi ! Soit ; l'énergie m'est venue… la haine m'a retrempé… Ose te mesurer avec le drac…
Le Faux Bernard, reculant. Non.
Le Drac. Ah ! tu me reconnais enfin ? Oui, tu fuis mon regard… tu trembles ! (À André.) À toi maintenant !
André, se relevant. Ah ! mon Dieu ! ah ! il m'a comme tué ! (Le jour commence, la Spectre disparaît par la fenêtre.)
Scène XII
André, Le Drac.
André, criant. Ah !…
Le Drac. Le précipice ! Il est perdu !
André, courant à la fenêtre. Il est donc fou ?
Le Drac. Non, l'enfer le protège ; il se retient, il rampe… il se relève ! Prodige ! il a franchi l'abîme, il fuit ; il nous raille, il nous menace !
André. Ah ! démon ! si j'avais…
Le Drac. Quoi ? une arme ?… Tiens ! (Il prend un pistolet à la muraille.)
Scène XIII
Les Mêmes, Bernard, Francine.
Bernard parait en haut de l'escalier en même temps qu'André fait feu sur le Spectre par la fenêtre. Il fait jour.
Le Drac, sans voir Bernard. Tombé ?
André. Oui.
Le Drac, regardant avec joie. Sanglant, meurtri, défiguré !
Bernard. Qui donc ?
André et Le Drac, ensemble. Bernard ! lui !
Bernard. Mais oui, moi ! Ne m'avez-vous pas mis le signal ?
André. Non, ce n'est pas lui, c'est un fantôme !
Le Drac. Oui, oui, le fantôme ! Bernard n'est plus, voyez ! Vois, Francine, il est là, brisé… Celui dont tu tiens la main est un spectre !
Francine, avec enthousiasme. Non ! je la tiens bien, sa main fidèle et honnête ! Ma mère a prié pour lui, et pour toi aussi, pauvre drac ; tu vas être délivré, j'en suis sûre !
Le Drac. Non.
André. Le drac ! Bernard ! un double !
Francine, empêchant Bernard d'aller à la fenêtre. Ne regarde pas, Bernard !
Le Drac, a la fenêtre. Il n'y est plus, le rêve s'est évanoui au premier rayon du soleil. Le soleil ! il vient, il monte, il dissipe les terreurs de la nuit, et, jusqu'à ce soir, je ne peux plus les évoquer !…
André. Sors d'ici, maudit !
Le Drac. Laissez, laissez-moi ! Pour aujourd'hui, je suis assez châtié : mon pouvoir s'est tourné contre moi-même, et j'ai été le jouet du spectre qui devait m'obéir ; mais vous ne pouvez rien contre moi, vous autres, et, chaque nuit, je viendrai troubler vos fêtes et empoisonner vos joies. Le premier-né de votre amour m'appartient. Je troublerai sa raison, je lui prendrai son âme ! Francine, tu pleureras sur un berceau, tu pleureras des larmes de sang !
Bernard, menaçant. Malheureux !… Tiens, va-t'en !
Francine, le retenant. Ton vœu, Bernard ! (Le Drac tombe à demi, comme épuisé.)
Bernard. C'est vrai, oui ; mais voyez donc comme il devient pâle ! Ses yeux se perdent…
Francine. Est-ce qu'il va, est-ce qu'il peut mourir ?
Le Drac, luttant contre une force invisible. Non, c'est cette âme embrasée qui s'échappe… Le corps veut lutter, il luttera… Qu'est-ce donc ? La mer m'appelle !… Non, je ne veux pas ! Je resterai ici… Je… O terre, retiens-moi ! Je ne suis pas vengé ! Ah ! le soleil ! Rayon terrible !… Pitié !… La mer !… Dieu ! (Il fuit.)
Scène XIV
André, Bernard, Francine.
Bernard, le suivant au fond. Il s'enfuit, il nous quitte… il s'envole, on dirait… oui. Mon Dieu, comme il change de figure !
Francine. Je ne le reconnais plus : c'est comme un ange !
Bernard. Non, c'est un nuage.
André. Non, c'est une vapeur.
Bernard. Et ce n'est plus rien !
Francine. Rien ? Si fait, c'est une âme qui a péché et qui souffre ! Prions pour elle. (Elle s'agenouille. André aussi.)
Bernard, debout. Dieu du ciel, toi qu'es si grand et si fort, des pauvres gens comme nous autres, ça ne sait rien de rien ! mais ça te connaît par ta bonté. J'ai fait un vœu tout à l'heure, qui était de pardonner, même au diable ; mais peut-être bien que, le diable, c'est une idée que nous avons, et peut-être que, l'enfer, c'est notre mauvaise tète et notre mauvais cœur ! Que ça soit ça ou autre chose, t'es là pour nous guérir, et tant qu'à pardonner, ce que j'ai fait, t'es pas embarrassé pour le faire !… Grâce, mon bon Dieu, grâce pour l'esprit de la plage !
Francine. Oui, c'était un bon esprit qui voulait faire le mal et qui ne le pouvait pas ! Grâce pour lui, mon Dieu, et pour cette pauvre maison où l'on t'aime !
Voix du Drac, au loin derrière les rochers. Bonté, lumière… ô mes ailes d'or, ô mon âme pure, je vous retrouve !
Francine. Ah ! écoutez donc comme la brise de mer chante doux ! on dirait des paroles !
Voix du Drac. Vague charmante, récifs superbes ! bons pêcheurs… amis, frères ! fraîcheur du matin, doux réveil ! travail, amour, innocence ! ô liberté ineffable !…
Bernard. Est-ce lui qui chante comme ça ?
Voix du Drac. Bonheur à toutes les créatures ! Francine, bonheur à toi ! Tu m'as rendu mes ailes…
Francine. Écoutez.
Voix du Drac. Francine, sois à jamais bénie !
Bernard. Ah ! ne craignez plus rien. Mon père, ma femme, nous nous aimerons tant, que tous les esprits du ciel et de la terre seront pour nous !
Notes
-
^ Il eût fallu, pour arriver à la couleur locale, faire parler à mes personnages ou leur dialecte ou leur accent méridional, dur comme le rocher et ronflant comme la bourrasque. Je suis loin de faire fi d'une harmonie si bien caractérisée ; mais tous les lecteurs n'eussent peut-être pas été aussi dociles que moi à recevoir cette impression d'un milieu particulier. J'ai pu faire accepter quelquefois une imitation assez fidèle du langage vieux français des paysans du centre ; mais le drac est une tradition provençale, et je n'avais autre chose à faire que de m'en tenir à la manière de s'exprimer la plus familière et la plus répandue en France dans toutes les classes du peuple. On ne me fera donc pas, j'espère, de critique pédante si mes personnages populaires se permettent toutes les incorrections qui leur sont naturelles. J'ai cherché le contraste soutenu entre le lyrisme et la trivialité. Si on me le reproche, je rappellerai aux critiques que les artistes ont quelquefois le droit de répondre : « Je l'ai fait exprès. »
The Drac
Fantastique [1] Reverie in Three Acts
By George Sand, 1865
To Mr Alexandre Dumas Fils
The Fantastique element remains a facet of the popular mind, and there is no need to return with Charles Nodier to the middle ages in order to pull up the hobgoblin of the meadow, mountain, or cottage by his beautiful flowing hair. We still encounter him with every step among the nations of Europe, in all the provinces of France, and on all our shores of the ocean and the Mediterranean. He especially likes strange and terrible places, among populations who seem unable to react to the harsh poverty of their material lives except through imagination; kobold in Sweden, korigan in Brittany, follet in Berry, orco in Venice, he is called the drac in Provence. He is much like that other spirit, more troublesome and more sinister, which is known in every country as the double.
One day after a coast guard had told me of these hobgoblins, freethinker that he was, and after — without realizing it — he had reminded me of the legend of Argyll, of which Trilby [2] is the charming poem, I wished to see the place haunted by the dracs and, from the heights of cape ***, I descended into one of the numerous small coves formed by the jagged teeth of the sheer cliffs. The scenery was splendid, and the subject made me think of an opera or a grand, spectacular melodrama; but, soon overcome by the equally grand spectacle of the agitated sea, I forgot all that wasn't it, and, in one of these dreams which one doesn't — thank God — have to explain to anyone, I imagined the intangible world which must populate the unknown immensity. You have on occasion appreciated, under one form or another, this pleasure of supposing which almost manages to be the pleasure of believing.
No path had led me to the hideaway closed off by the sea, where the hot, white sand, unmarred by footprints, invited me to wander. It seemed, judging by the rock surrounding me, that it was impossible to climb back up and certainly no boat would risk itself to come look for me there.
Imagine a forest of rocks planted in the sea as far as the eye can see. These innumerable reefs presenting the most unheard-of forms were not fragments fallen from the mountain, but needle-capped blocks forming the summits of other, submerged mountains. The shining water, of a blue approaching black, vigorously parted in pale gray around this host, this army of livid spectres encrusted by salt, and the blazing sun which continually bleached them cast upon these apparitions a certain fearful gaiety. No human being could, without grave danger, pass through this network of inextricable pitfalls, and no terrestrial being could live there. Not a blade of grass, no lichen, not even the debris of marine plants on these islets, and yet it was beautiful and full of vertigo's appeal. The spirit launched itself irresistibly from rock to rock; it became intoxicated by the depths of these powerful roots of the underwater mountain; it gave itself over to a curiosity for the inaccessible; it wanted to glide over everything, dive into everything; it experienced a mad and terrible life.
Man's spirit has this instinct for unrealizable conquest; it may dream of the delight of possessing a world which refuses the conditions of life to the body, and this marvellous world of chasms had for hosts only the mute and the blind, the fish and the shellfish! I didn't want to, I couldn't believe it… but I'll spare you this digression, which is only charming when you yourself are lost from beginning to end in it. I only tell you whence and how the confused idea came to me to make one of these spirits — whose mysterious life and ineffable freedom I envy — act and speak.
And, while leaving these natural menhirs, this maritime Carnac [3], I saw the fishers moor their boats and mend their rigging with an absorbed air about them. They didn't know a word of French, and didn't speak to each other in their dialect either. Dark and dreamy, they seemed to listen to the threats and promises of the spirits of the beach; but when they headed back towards their huts, picturesquely dotted along the chasm, they exchanged animated, noisy words, as if they congratulated each other with having escaped the traps of the evil guardian spirits. Their voices were lost in the distance, the sea continued its eternal monologue, and I remained to listen to it, prey to this fascination at the same time painful and delicious which it exerts without explanation.
I thought I would never have to write down these fleeting impressions, in the midst of so many others that are easier to define; but chance would have it that I found something of it again, one day last month, while trying to write a legend in dialogue for four characters of our acquaintance. The forgotten drac appeared to me like in a dream, and I didn't want to shy away from the contrast of a dishevelled Fantastique and a slightly brutal reality. It was not the story I was told, but it was the floating image of which I had seen the striking framework. I heard the hoarse voices of the boatmen pass in the midst of the interrupted song of the harmonious sea. Once more I saw these hardy and uneducated men whose spirits retain a strange poetry, and I wrote without fear or scruple a reverie which ought not be subject to any official critique.
A graceful mise-en-scène, a pretty decor, and four intelligent and confident performers have lent a body to this fantasy devoid of all pretence to local colour and dramatic form. You came by, and you loved this manner of telling and imagining a dream in front of a meeting of the family, more or less like it would be told by the fireside. Thus I dare publish it, and I leave it in the care of your mercy while dedicating it to you, not just as the author of those strong and scholarly dramatic studies of human life which speak to reason and logic as much as to the spirit and the heart, but as an excellent friend whose artistic sense recognizes and understands without pedantry all the freedoms of the art.
George Sand.
Nohant, September 1861.
The Drac
Characters
- The Drac.
- Bernard.
- André.
- Francine, André's daughter.
The scene takes place in the house of André, who is a fisher on the coast. The house is built atop a cliff. A large door opens onto sheer rocks; at the bottom, the sea and steep banks. Window and chimney on the right; on the left, the door to Francine's room and an interior staircase leading to the mountain. It is still day. There is an image of the Virgin. Fishing nets, a mirror, various fishing tools and weapons are hanging on the wall.
First Act
First Scene
André, Francine.
André is watching through the window with a spyglass. Francine is shelling hazelnuts which she takes from a small basket and puts on a plate.
Francine. Don't lean out the window like that, father! What if you fell!
André. Why yes, if I fell, I'd go straight down five hundred feet into the sea!
Francine. Oh, what a frightful thought [A] !
André. Oh well, if I fell, what would that make you? [4]
Francine. Oh, how can you say that?
André. A girl who languishes at home!
Francine. Not true.
André. Who always cries!
Francine. You never see me cry.
André. Who mourns a nobody!
Francine. You're the one who's telling me this.
André. Be quiet, you!
Francine. I'm not saying anything wrong.
André. I said be quiet! When I speak, I don't want to be spoken back at. What time is it?
Francine. Five o'clock.
André. It's so dark! You'd think the sun had set. (He lifts his spyglass again.) I don't see the ship at all, you know?
Francine. Let me have a look.
André. Bah! Women can't see anything in a mariner's spyglass. You have to know how to look in one.
Francine. Well, with my eyes, I see even better than with your spyglass; I see the ships at sea, and I'm telling you that ours isn't among them.
André. Then where's Nicolas? The sea was bad today. There's been a damned change of wind!
Francine. He is perhaps close, right there behind the reefs.
André. Why would he be going that way? It's dangerous. Ah, these young novices, they're too full of confidence!
Francine. Bah! He can't drown there… There's no water.
André. And the ship? My ship, that's what worries me! Let's see, we need to light a candle to Our Lady!
Francine. You make me light it over the slightest thing, and afterwards you reproach me for burning too much wax.
André. Wax is expensive! Anyway, we ask so much of Our Lady that she can't make everyone happy! It would be better… Eh, how about these hazelnuts? Let's see.
Francine. Here they are; what do you want to do with them?
André. Put them in the window. Why are you laughing?
Francine, carrying the hazelnuts to the window. Because you sometimes pray to the Lord and sometimes to the Devil.
André. The Devil? I forsake him!
Francine. And yet you put hazelnuts in the window for the drac?
André. Because it's said that he likes that!
Francine. If the drac is a spirit, a sprite, he can't eat hazelnuts!
André. He doesn't eat them, he plays with them.
Francine. Yes, him or the rats!
André. Oh, you! You don't believe in anything!
Francine. Of course I do. I believe in the Lord and the saints; but imps, dracs…
André. Imps, imps, there are good ones, bad ones. Dracs aren't mean if you don't vex them.
Francine. Yes, you believe that for a few hazelnuts they'll do everything you want, that they'll calm the wind, push the fish into your nets, and make you find nice pieces of flotsam on the shore?
André. I'm sure of that! It's the local drac who made me find all the planks from ships with which I built our house and made the furniture, and even new hats, shoes that are still good, and all sorts of things.
Francine. So you've seen the drac?
André. Have I seen him? More than twenty times! He had a fish tail and gull wings. And now you're laughing again, fool girl!
Francine. No; but me, I imagined the drac nicer than that… Tell me then, father, is it true that, when they're no longer flying over the sea, they're no more cunning than us, and that, when they tease you too much, you can put them in a cage?
André. So they say. They even say that father Bosc caught one who loitered in his pantry, and that he cut its tail off so he could recognize it. But that's rashness! It's ever since that day that father Bosc has been unable to consume fish from the sea! Anyway, all this talk isn't making my apprentice and my ship return; I'm going down to the shore.
Francine. No, wait, here they are! I hear the voice of Nicolas.
André, who has returned to the window. Just as I told you! And look: no more hazelnuts! The drac came, the drac is pleased! It is he who brought Nicolas back right away.
Francine. Or rather it's the wind that's taken the nuts and pushed the ship.
André, leaving. Oh you big fool, you don't want to believe in anything, understand anything! (Leaving.) It's true, she is such a fool.
Scene II
Francine, alone. These stories of the drac are funny! It's frustrating that they're not true! I'd like to believe in them! It would be so nice to have a little friend like that, not much bigger than a bird, who would do everything you wished… who would go far away, as fast as a swallow, to bring you news of those you love… I'm thinking about the drac, but it doesn't matter; I don't believe in it. There are those who say — my father among them — that when you burn a certain herb, it makes them come. Which herb? I don't know! They call it drac grass… It's perhaps that one there which my father brought home yesterday from cape Mouret, and which he has hung there, in the fireplace. He wouldn't tell me anything… It would be funny if that suddenly made it enter through the window, or even descend down through the chimney! Ah, I know just what I would ask of him! (She has taken some twigs of the dry herb without thinking.) When you're in sorrow, you imagine all sorts of follies! (She burns them.)
Scene III
The Drac, Francine.
The Drac. Good morning, Francine.
Francine, frightened. Ah! My God, where did he come from? He scared me! Is that you, Nicolas?
The Drac. What did you burn, since it smells so nice?
Francine. Nothing, nothing… But why do you come here before having helped my father?
The Drac. Oh, I helped him! But father André wanted to run to the village himself to sell his fish.
Francine. Did you catch a lot?
The Drac. Yes, 'ere ya go: shellfish for your supper.
Francine, who puts a pitcher and a piece of bread on the table for him. Good! Give me those, and eat a bit while you wait. You must be hungry. I'll shell those outside so I won't dirty the room. (Aside.) Oh well, I don't believe in the drac any more; he didn't come! (She leaves.)
Scene IV
The Drac, alone, looking at the food. To drink, to eat, what might that be like? To live with a body, to walk, or may as well say to crawl like a worm! To speak the tongue of men, to have a name among them, to be called… what did she call me? Nicolas! Yes, that's my name. Let's have a look at my face… (He looks himself in the mirror on the wall.) Ah yes, it's the face of the little fisher whose boat the wind capsized this morning… So, as I sadly carried the corpse of the child towards the cavern of the king of elves, what happened then? After that my memory is foggy… Ah yes, I remember… the king of elves said: "For a long time you've begged that, by some miracle, I should allow you to assume the human form. So be it then: take the face, take the body of this child, assume the life which was violently taken from him, and go keep the company of men!" Yes, yes, that's it… that's why I'm here in this strange form, and why, like a machine, I obey instincts and behaviours that I don't know. Cruel metamorphosis! I'm already suffering from being like this! But what more did the king of elves say? He said something terrible. "You are going to lose a part of your power, and I myself don't know what mix of clairvoyance and blindness your two natures, the old and the new, will produce when united in you!" Frightening enigma! Will I thus be passion's toy or the dupe of men's trickery? I'm thirsty. (He drinks.) Ah, such agony! To know suffering! (He drinks again.) Francine, here's what I've done for you! Such dulling of my thoughts! Such heaviness in all my being! Is it fatigue or this brew? I can't keep it up! Am I going to sleep? O dread! To sleep, isn't that to cease to be? And I can't resist! O feebleness, downfall! (He lies down on the ground and falls asleep.)
Scene V
Francine, The Drac.
Francine, re-entering with the shellfish in a bowl. You haven't put away your meal? Ah, there he is, sleeping on the floor! He is really tired then? (She puts away what's on the table.) Poor thing, he is too tired for his age! My father is a bit hard on him… Fortunately, children forget… However I'm not that old, and I don't forget! All I do is think…
The Drac, dreaming. About Bernard!
Francine. Oh! He's dreaming of him!
The Drac. Happy Bernard! She loves you, the beautiful Francine!
Francine. Does he know, this child? I've never spoken of that in front of him.
The Drac, still dreaming. And here arrives the wedding day!
Francine, aside. Oh no, that passed away never to return! (Aloud.) But listen, Nicolas, wake up! You're talking out loud!
The Drac, without hearing it. Bernard, Bernard, you wanted to consult the soothsayer to know the future!
Francine. What is he saying now? He's still sleeping!
The Drac. And the old Romani told you: "If you marry, it's misery and slavery; if you go in search of adventure, it's riches and freedom!"
Francine. Ah! Could it be? Bah! He doesn't know Bernard! He's never even seen him!
The Drac. Rash! The prediction clouded your mind! You were afraid of marriage, you asked for a delay.
Francine. That's true, at least!
The Drac. Francine cried: you still loved her, you wanted to dull your senses. Wine quickly got the better of a boy up until then so wise. From drunkenness, you fell into debauchery, into shame, into idiocy, into wrath!
Francine. Alas!
The Drac. You left Francine who from sorrow fell ill; her mother, who was sick already…
Francine, hiding her face in her hands. My poor mother!
The Drac. The old father wanted to reproach you, you mocked him, insulted…
Francine. Ah, it's so bad!
The Drac. The young brother asked you to explain yourself, you hit him, hurt…
Francine. Left for dead! It's frightful!
The Drac. And then you left, hopelessly in debt, without honour! You left on the Cyclops, a beautiful ship!
Francine. Yes. Afterwards? He's no longer saying anything. Ah! If only he could keep dreaming!
The Drac, getting up, still as in a trance. What then? A shipwreck?
Francine. Ah!
The Drac. The ship runs aground, the captain is going to perish… Bernard saves him. Bernard is brave!
Francine. It's true!
The Drac. But… there's the enemy! Bombs, injured, deaths… Bernard fights like a lion!
Francine. I knew it.
The Drac. Bernard is put on the honour roll; he is decorated. They celebrate him, they love him, his captain hugs him!
Francine. Ah, what joy!
The Drac. But there's fighting again. Bernard falls, Bernard is wounded!
Francine. Ah! My poor love!
The Drac, agitated. He is very ill, he prays, he is going to die… he repents!
Francine. He thinks of me, tell me, did he think of me?
The Drac, waking up. Listen! (The cannon sounds in the distance.)
Francine. It's nothing, you hear that every day. Tell me… But I'm mad to want you to explain a dream to me!
The Drac. It's a ship returning to shore.
Francine. Which ship? My God! The Cyclops perhaps! Did you see it at sea today? Did you recognize it?
The Drac. Who knows?
Francine. And Bernard?
The Drac, as if surprised. Bernard?
Francine. Ah! You no longer sleep, you no longer sleep… or you no longer want to tell me… Bernard is dead perhaps?
The Drac. Perhaps.
Francine. But perhaps also he is alive, he returns, and he is on this ship? Oh, how to know? From here you can't see the harbour. — Go on, you! (The drac shakes his head and sits down.) Nicolas! Go!
The Drac. No.
Francine. I'll give you everything you want. Here! My necklace, my golden cross!
The Drac. No, no.
Francine. You don't want to, mean boy? Oh well, I'll find someone; I'll know, I want to know… yes… via the road by the chapel, it's shorter. (She leaves by the stairs.)
Scene VI
The Drac, alone. What did I see in my dream, then? Ah yes, I saw Bernard! He returns, he has returned! But should I trust in my dreams at the moment? Those of men are misleading… What's happening to me? The arrival of this Bernard makes me suffer. This Bernard who I loved… yes, I loved him because Francine loves him! — Do I hate Francine ever since I've become his like? [5] — How many things I don't know any more! How many feelings I can no longer understand! — Ah yes, but the little that I do know, I could tell her! She was deaf to the mysterious voice of the drac, she will listen to the poor little fisher. — And Bernard… to him also I will speak… Bernard doesn't know me! I'll tell him… I'll make him believe… Is he approaching? I'll chase him away from here. I no longer love him, I hate him!
Scene VII
Bernard, The Drac.
The Drac, aside. Yes, it's him! (Aloud, changing tone and altitude.) Enter, Sir Mariner.
Bernard, emotional and confused. Are… the people of the house?
The Drac. They're going to return.
Bernard. So… (Aside.) Who is this little one then? He is well-mannered! (Aloud.) So no one is ill here?
The Drac. No one.
Bernard. And so you keep the house?
The Drac, proudly. As you see, comrade!
Bernard. Ah, am I your comrade? That's funny. You live here, then?
The Drac. Yes, by charity. I'm not from this country, I didn't have anyone, they've taken me in.
Bernard. They've done well, the good folk! I recognize them now! And… so you know Francine well?
The Drac. Yes.
Bernard. Do you know if… Do you know if she is married?
The Drac. She isn't yet.
Bernard, shivering. Not yet? So there is talk of it?
The Drac. Yes.
Bernard. Ah! Good God! With whom?
The Drac. I don't know.
Bernard. You don't know, you don't know… you must know.
The Drac. They say so many things!
Bernard. What do they say?
The Drac. They say Francine had a very mean lover, who left.
Bernard, sadly. I know that! Afterwards?
The Drac. Afterwards, she forgot about him.
Bernard. Oh woe! She's found another?
The Drac. Yes, another.
Bernard. Who is it then?
The Drac. You want to know?
Bernard. Yes!
The Drac. Ah well, it's me!
Bernard. You? (He breaks out laughing.) Ah! That's a good one! You, Francine's lover!
The Drac, aside. Ah, cursed be this childish face!
Bernard. Now, now, if there's no other spouse than you here… Ah, here comes Francine, I want to speak to her. Off with you!
The Drac. And if I don't want to?
Bernard. What are you saying?
The Drac, frightened, recoiling. You want to hurt me!
Bernard. No, never fear, to hit a child would be low, and I've done with being mean; but you have to leave, my boy, or I'll gently give you the boot.
The Drac, aside. Mocked, despised, feeble and fearful! Oh, who would have told me that? (He leaves.)
Scene VIII
Bernard, then The Drac, who returns without a sound and hides under the stairs. My God! How am I going to make sure Francine won't be scared of me? She's going to believe… Ah! I'll show her that I am no longer a miscreant. (He kneels down before the icon.)
Scene IX
Francine, Bernard, The Drac, hidden.
Francine, without seeing Bernard. Yes, it really was the Cyclops, I recognized it from afar; but no way of knowing… (Seeing Bernard.) Ah! Bernard! What are you doing here?
Bernard, getting halfway up and speaking to her with one knee still on the ground. You see, Francine, I'm asking Our Lady to let me have your pardon.
Francine, troubled and wary. Are… I hope you're not joking?
Bernard, getting up right away. Joking? Ah, how can you believe… but yes, you must believe that I am capable of that! However, look at me, Francine, I'm changed, since I've earned… (He shows his cross.)
Francine. There! Yes, I knew!
Bernard, wanting to show his papers. And there's another thing… It's not all about fighting; I've learned to behave myself properly. Here, look at my service record!
Francine. I know, I know!
Bernard. How did you know?
Francine. I saw all that… in a dream.
Bernard. You dreamed of me, then? Oh Francine! If you dream of me, it means you still love me!
Francine, severe. You believe that, Bernard?
Bernard. I believe… no, I no longer believe, since you receive me so coldly. I should have liked and would like to believe, but I'm well aware that I have done everything to make you hate me, to make you detest me. I know it so well, Francine, and I am full of such shame. I've had such grief and been so angry with myself, that you shouldn't reproach me. Ah, the reproaches, you see! (hitting his chest) They are here; heavy like a mountain, and, if you could see the bottom of my heart, you would have more pity than resentment for me!
Francine. I have no resentment. I feel content that you have become an honest man and a good subject again. I thank the Lord for it; but…
Bernard. However that's not a reason to love me! Yes, I know that!
Francine. Why do you want me to love you?
Bernard. Because I still love you! Because I have always loved you, even when I made you suffer. Ah! if you only knew… But you don't understand that, you who are so sensible! You will say that I am mad. Ah well, know that I was… It was that… idea! A sorcerer's tale of good adventure…
Francine. So that was true as well? It was predicted that you…
Bernard. Everything that happened to me! So ambition made me lose my way, I wanted to see other countries, make war, have this! (He shows his cross.) And so it inflamed me to leave you… well, the devil entered my life, and I became worse than a dog! But now… Oh! I'm no longer like that, Francine! Put me to any test you want, and I'll answer for my deeds!
Francine, worried. My father is going to return, Bernard; you can't stay here!
Bernard. Why not? You think he won't listen to me? Oh, but of course! I won't be ashamed to confess, I'll endure the reproaches, I'll submit to anything!
Francine. And my mother? Will she pardon you?
Bernard. Oh! her, yes! Such a good woman, so patient! A heart so soft! She who, before my foolishness, loved me so! She who I made laugh so much… and cry so much! Where is she? She's not at home, then?
Francine. Ah! wretch! you ask where she is!
Bernard. Is…
Francine. And you don't know the reason for it?
Bernard. Don't tell me, don't tell me; it would be too much! (He bursts into tears.)
Francine. Cry, go on, you have cause to cry!
Bernard, sobbing. Oh! the best woman! I should have expected that! And here I counted on her for my pardon! Poor dear woman! Ah! I am severely punished, and the Good Lord's justice could not have found a better way to pierce my heart! Ah! poor woman! great woman! She was like my mother too!
Francine, appeased. You see, Bernard, that, even if I still loved you, I could no longer go along with it.
Bernard, vigorously. Ah, but of course! That's exactly it! Think! What can I do to console her poor soul? What would please her, if she was alive? What would she ask me to do? You see, Francine, she had only one thought, which was to marry us, on condition that I was worthy of her and worthy of you. Ah well, that day has come, good God! and it's in the name of your mother that I am going to ask for your hand in marriage.
Francine. My God! what he's saying is true, and, if my mother heard, she would rejoice in Heaven! Well, let me consult my father…
Bernard. Yes, yes, we're going to talk to him both of us!
Francine, forcefully. Oh no, it's too early! Just imagine…
Bernard. Ah yes, he is angry with me! His poor wife… it's fair! Ah well, I'm going to write and send him a letter; but you, Francine, you'll speak for me?
Francine. If you believe my mother wants it?
Bernard. Yes, yes! And the Lord too wants the repentance to serve a purpose! Swear to me that you'll forgive me if your father agrees!
Francine. I promise…
Bernard. Ah! You must swear, Francine. I love you so much!
Francine. Then, I swear it.
Bernard. Francine… let me kiss you.
Francine. No! It's too soon.
Bernard. Yes, it's too soon… but from afar… there! (Blowing her kisses as he leaves.) Blow me one, at least.
Francine. No! When will you return to know?
Bernard. I have to get back on deck; but tomorrow, I have a leave of eight hours, and I will return right away…
Francine. You must not come if my father is angry! How will you know?
Bernard. Put a signal in the window, a white handkerchief if it's yes.
Francine. And nothing if it's no. Then, goodbye!
Bernard. No, no, not goodbye! It can't be. 'Till tomorrow! (He leaves.)
Scene X
Francine, The Drac.
Francine, at the back door. He turns around! He's looking at me! Oh Bernard… He sends me kisses, and I can't return even one! Ah, he's no longer watching! (She sends him a kiss.)
The Drac, distraught, grabbing her hand. What are you doing, Francine?
Francine. Ah! You scared me again! So you were there? What do you want?
The Drac. I want you to forsake Bernard!
Francine. Eh? What business is that of yours?
The Drac. Francine, I love you!
Francine. You? Really? At your age?
The Drac. I have no age, Francine. I belong among those who don't die.
Francine. What are you talking about? You've become mad!
The Drac. Francine, your eyes betray you! I'm not the orphan your father welcomed into his home. Nicolas left this morning; he won't return again!
Francine. But what are you saying, then? You say that Nicolas has left, and it is he who speaks to me? You don't know yourself any more, then? You must have had some kind of great shock which made you lose your senses.
The Drac. The orphan is no more, and I, Francine, I who love you, I've taken his shape.
Francine. You've taken… But who are you pretending to be?
The Drac. I'm the drac, Francine, the drac of cape Mouret.
Francine, frightened. You… but your eyes, they frighten me! You don't have the same eyes as before… You're fevered!
The Drac. Woe! I hadn't counted on her not wanting, not being able to believe me!
Francine, aside. It's that he's not speaking like he used to. (Aloud.) Where did you get everything you're saying?
The Drac. In a realm beyond your own. Look, to believe me, you need proof?
Francine. What proof can you give me?
The Drac. Did you not dream last night about a white child crowned with flowers, who ran upon the waters like you run upon the ground?
Francine, speaking to herself. I didn't tell anyone about that… and it's true, I did dream it!
The Drac. This medallion that you always wear.
Francine, forcefully. It's my brother's hair, who married and moved to Nice!
The Drac. You lie, Francine, it's Bernard's hair.
Francine. Ah! Don't say that! If my father knew…
The Drac. You see then that I am he who sees all and who knows all things! You knew me under my aerial form, I lived in your imagination. You tried in vain to deny it; you saw me in your dreams, and the child you saw last night run upon the crests of the waves, it was me, Francine, it was the drac, your protector and friend!
Francine. But then… you, how do you know me? how did you see me?
The Drac. Oh me, I've known you for a long time, Francine! Remember when you were at the washhouse and you leaned over the transparent water, me, hidden in the foliage of the willows, I saw your pure face and your pale smile. You sang a tune which Bernard had taught you, and you believed you heard a faint voice who whispered the words to you…
Francine. Yet, that's true.
The Drac. When you wandered upon the deserted rocks, still thinking of Bernard and watching all the sails in the mist on the horizon, a friendly voice, which you at first took for the whisper of the wind in the undergrowth, told you: "He will return, hope!"
Francine. Ah, that's also true!
The Drac. One day, you wrote his name in the sand to get an omen, as all young girls and all lovers do. Like them, you told yourself: "If the first wave takes away the letters, it means he won't return; if after the third they can still be read, it's that he's thinking of me and wants to return." The wave came seven times, and seven times it left the cherished name untouched.
Francine, stunned. How can you know… I was alone; it was you, then, who held back the wave?
The Drac. It is I who, always cradling your fantasies and caressing your hopes, have stopped you from dying of sorrow.
Francine. Ah, then yes, you must be my friend! They say that the dracs are good to those they like!
The Drac. I loved you with a pure love, Francine. Your soul was my sister, and I only wanted your trust. I took the human form to have it fully, to announce to you the return of Bernard, to contemplate your smile and kiss your tears of joy… But, in this form, I've felt a strange fire in me: jealousy, anger, hate, passion! Forsake Bernard, Francine; you must, I demand it!
Francine. You ask the impossible! I don't want to forget Bernard, and I can't love you!
The Drac. Then remember what I say to you! If you remain sad and alone, if you chase my rival away, you will see everything in your life succeed; if not, woe on him, woe on you, woe on your house, on your parents, woe on all those you love! (He leaves. Francine, frightened, falls into a chair.)
Second Act
First Scene
André, The Drac.
André is lost in thought. The Drac enters and observes him. Night has fallen; the lamp is lit on the table. André is finishing his dinner. A letter is open next to his plate.
The Drac, aside. I found a way to get Francine out of the way… Now, I'll know… (Aloud.) Ah, have you read this letter they just delivered to you, boss?
André. How do you know that I've received a letter?
The Drac. I saw the messenger, a riverboatman from the harbour.
André. And Francine, has she read it?
The Drac. Oh! No, Francine has gone up into the mountain.
André. The mountain? At night?
The Drac. One of her goats escaped from the stable; she ran after it.
André. Then she's not far; let's hurry. Come here. You're a learned boy, you know how to read handwriting; read this for me! I can't, it's too poorly written.
The Drac, reading. "Dear and honoured sir, mister André, I put pen to paper to announce to you that I entered the harbour this evening, aboard the ship the Cyclops, from where I write to you these lines hoping only to ask your pardon for past bad behaviour, to say that I am truly mortified to have displeased you, and also to ask forgiveness from your honoured son, my good friend and old comrade, to whom, despite my foolishness, I've always held esteem and friendship, likewise from your respectable wife, whose death I've had great sorrow to hear of and will never console myself from…"
André, wiping his eyes. Nor me! Good Lord! Go on! Read it all!
The Drac, reading. "Thus, I ask permission from you to present myself before you to make my excuses to you and give proof that I have repaired my honour, with a promise to repair the mistakes which I've made towards you and your respectable family."
"Signed: Jean-Louis Bernard,
Knight of the Legion of Honour."
André, jumping up from his chair. It says that, knight of… It's not a joke? Of the Legion of Honour?
The Drac. It says so here. (Aside.) It's a talisman, then?
André. Ah, so it does! but then…
The Drac. You forgive him, then?
André. Does that surprise you? Ah yes, you're a foreigner! And on top of that you're a child! You don't know what it means for a simple seaman who left two years ago… He must have done something truly grand, nothing less!
The Drac. Well… what are you going to do?
André. I'm going to… What do you care?
The Drac. You can't go all by yourself to the harbour!
André. You think me too old to steer my boat? Greenhorn! You weren't even born…
The Drac. Send me! I'll go faster than you!
André. No! You don't know what I want to do.
The Drac. You want to bring Bernard here!
André. Yes, when I've seen the red ribbon and spoken to his captain! He'll surely be given leave, if it's true that he is decorated.
The Drac. The harbour will be closed.
André. No, there's time! The wind is good, I won't need more than twenty minutes! (Aside.) I'll send my nephew Antoine: he'll go fast, faster than me.
Scene II
The Drac, alone. Oh, I'll stop… How will I stop him? Will the wind and the wave obey me? The other dracs don't recognize me any more… It was in vain that I invoked them earlier on the shore; but I'll invoke the spirit of vengeance, he who men call Satan! Which one is he? I don't know him; but, if he presides over human destiny, he will perhaps recognize me for one of his. Yes, I'm going to… But I have some time. I'll first act on Francine. There she is! What will I tell her? I've lost her trust. I'll terrify her! If I can still speak to her in her dreams… Let's see, I'll have to efface from her mind… I was too quick.
Scene III
Francine, The Drac, at a distance.
Francine. Ah! The bad goat made me run! It's this evil drac who must've released it and made it mad! Where has he gone? If only he'd never return! But Nicholas, the real Nicholas, he would then be dead, the poor boy?
The Drac. No, mad'moiselle Francine! I'm not at all dead! Why d'you say that?
Francine. Ah! It's you? The real Nicholas?
The Drac. The real Nicholas, your servant! There's another one now?
Francine. Why did you tell me earlier…
The Drac. Me? I said… Ah, of course, it's possible. You must excuse me, Francine. I sometimes get ideas in my head, that I don't understand anything of myself.
Francine. So that's it! However, you said some things…
The Drac. What things, then? I don't remember it!
Francine. That's possible, and it's also possible that you aren't a very good person. (Aside.) If he's not the devil, he still acted a little like it, and I don't trust him. (Aloud.) Come on, have you had dinner? Go to bed.
The Drac. Still in the stable with the goats?
Francine. Of course, we have no other lodgement for you, and, since you're happy with it…
The Drac. It's quite sad, quite dark, and quite cold in the stable, Francine! Let me sit up a little there, close to you!
Francine. No, no, you must sleep. It's time for you! Go on, and try not to scare my beasts again! (She puts him outside.)
Scene IV
Francine, alone. If he wasn't so poor, I'd have him sent away; but, if I speak to my father about him… I had better speak to him about Bernard… but I'm afraid he'll get angry. Undoubtedly he'll receive the letter tomorrow. So what has he been doing at our cousin Antoine's tonight? (She has finished putting away André's dinner. Looking at the bottle.) Oh, he didn't finish his drink! So he was in a hurry to leave? I'll leave him his bottle, he'll want to drink when he returns. (The Drac returns without a sound. Francine has taken up her work again, a small sail that she is mending.)
Scene V
The Drac, Francine.
Francine, sitting. Oh, I'm so tired! I've had so many shocks today! (She rests her head in her hands; the Drac approaches and cuts her thread. Coming around, she picks her work back up.) There, I must not sleep! Oh, look, I broke my thread! (She fixes it.) And besides, I no longer want to think about all that, I'll just become sick from it! (She drifts off; the drac ties the thread two or three times. Waking up.) Oh, I've gone and tied knots! Where the deuce was my head? It's as if I was spellbound! Everything dances before my eyes! (She falls asleep.)
The Drac. (Very soft sounds of the sea.) "It's the charming hour when my spirit dominates and persuades yours, O Francine, pearl of the shore! It's the hour where the sun, plunged in the sea, still sets the rosy sky aflame where the Edelweiss trembles; It's the hour of doubt and dream, it's the hour of the wingéd vision!
"Listen to the marine breeze which cradles you and the weak eddy of the tide on the sand: it's the moan of the sylph who approaches, it's the sigh of the spirit who is looking for you. Hear the jolty cry of the cicada lingering in the rosebush: it's the ardent call of the mysterious spouse who awaits you!
"Leave this earth of weakness and suffering, come on the waves ever moved, ever living! Come with those who are forever young. I'll lead you to the kingdom of marvels, in the transparent palace of the elves, under the coral dais of the undines!
"Come, and you'll have the knowledge of all things, you'll read in the thoughts of all creatures, from the fantasy of the insect who flies from flower to flower to the most secret thought of man; you will hear the deep respiration of stone crushed beneath stone, you will understand the passionate language of the torrent falling from the sky and the suave words which in amorous ecstasy the lark sings to the morning sun!
"Come, Francine…"
Francine, dreaming. Bernard! You call to me?
The Drac. No, it's me! It's me, the king of dreams, the azure-wingéd drac!
Francine. Bernard!
The Drac. Forget him already, hear only me!
Francine. Bernard, I hear you!
The drac, leaning a bit over her. Ah! Still him! So she truly loves him! Ah well, too bad for you, Francine! You want to suffer, you will suffer! To me, visions of the night! To me, deceiving phantoms! Detested rival, can I do naught against you? Can I not summon a spirit more powerful than your love? Spectres, illusions, deceitful voices, frightful images, reflections of the past, terrors of the future, obey me! What! nothing? Am I myself no longer anything? By this dreadful sign (he traces a magical sign in the air), appear! Appear then, omens and frights, man's torments and miseries!
Scene VI
Francine, asleep; The Drac, The Spectre of Bernard, rising from the earth behind Francine.
The Spectre. Who calls me?
The Drac, taking a step back. Bernard! Is it him?
The Spectre. No; I am his image, his double, his spectre!
The Drac. Ah! I am still the drac, king of dreams! You have divined my thought, you have understood the language that I am forced to speak: you are going to obey me!
The Spectre. I obey my nature, which is to fascinate and deceive in dream or in wakefulness, in hopelessness or drunkenness, in passion or in madness. The tongue of man that you speak to me, how could I not know it, me who converses at every hour with them? As for divining your thought… No, you are a deposed spirit or chained to some ordeal: I obey the sacred symbol by which you have evoked me!
The Drac. Then why do you come here in this shape?
The Spectre. Because I am the frequent guest of this cottage, because those who inhabit it call me ceaselessly under the form that you see, and I nourish myself on the chimeras of their imagination or the torments of their thought.
The Drac. Ah yes, the love of Francine, the hate of her father… Ah well, make the one you represent cursed and detested. Obey me, it is my will!
The Spectre. When I obey, it's in my own manner; no one governs my fancy. Go away!
The Drac. Yes, because I want to take action for my part, too! I need more than one victim here! To both of us, Bernard! (He leaves.)
Scene VII
The False Bernard, Francine, asleep.
The False Bernard, curt and in a hard tone. Come on, Beauty, wake up!
Francine, waking. Bernard… Ah! How are you here?
The False Bernard. Your father sent for me, your father forgives me.
Francine. Is it possible? Already! Yes, that's what I was dreaming; but I think I'm still dreaming. Is it really you who are there? I've slept for a long time then?
The False Bernard. I don't know anything about that! Why are you looking at me aghast? It's like you don't recognize me!
Francine. It's that your face has changed since last night! You're pale, and you announce the good news in a sad and mean tone. So what's going on?
The False Bernard. It's… Francine, it's that I don't know if you love me!
Francine. Oh! Why that question?
The False Bernard. Because I've been thinking since this afternoon. I told myself: Maybe Francine forgot about you and she would have liked just as well for you to never return!
Francine. I might perhaps have thought like that, Bernard, not knowing that you had changed your behaviour; but…
The False Bernard. But, in spite of yourself, you still love me? Let's see you say it then, because you've still not told me, and you need to tell me!
Francine. Ah well, since my parents forgive you… I've always loved you, and I love you still!
The False Bernard, still harsher. There, it's said, and you can no longer take it back.
Francine. Are you happy?
The False Bernard. Happy?!
Francine. Well? Why do you still have a sour look?
The False Bernard. It's… It's because I lied to you, Francine! Your cousin came to tell me that neither he nor your father would suffer for me to set foot in here.
Francine. Ah! My God! And why do you return? My father is going to come back, you must leave, Bernard, you absolutely must!
The False Bernard. So that's all? You're afraid of being scolded, you tell me: "Go away!" It's your only worry, your only farewell? Ah! I knew that you didn't love me!
Francine. It's very mean, to say that when I have so much sorrow!
The False Bernard. Yes, you charitably give me a bit of sorrow, to me whose heart is full of rage!
Francine. Ah! My God! My God! It's too much woe for us!
The False Bernard. Francine, if you suffered as much as me, there would be a way to persuade your father.
Francine. I don't see how. Which way?
The False Bernard. Let's leave here, both of us!
Francine. Why?
The False Bernard. We'll spend the night out.
Francine. Oh no! What would they say?
The False Bernard. They'll say what they must, that I've taken you away, that we love each other, and your father's duty would be to marry us.
Francine. That would be a wicked way! How dare you think of that?
The False Bernard, pouring himself a drink. Ah, what do you want! We have to find something! We can't leave each other like that. (He drinks.) You don't want people to gossip? Ah well, let me spend the night here. When your father sees us together, he'll think it's too late to refuse. (He drinks again.)
Francine. What? You say wicked things! And don't drink like that. It's rum, and rum never gives good ideas.
The False Bernard, still drinking. Ah, too bad, I have to dull my senses! On the point of leaving you, I lose my heart. No, it can't be! Francine, let's do better; let's save each other together! I'll desert. Yes, by gods! I desert, there! We'll go to America. I have money. You'll pass as my wife, and to the devil with parents, to the devil with country and all that jazz!
Francine, taking the bottle from him. Stop drinking, Bernard; you're already drunk!
The False Bernard, standing, brutal and menacing. I'm not drunk at all!
Francine. Then you're worse than you were; because, in your worst moments, you would never have dared suggest that to me.
The False Bernard, menacing. That's because I was a fool! Now, you must do as I say, and you must follow me! Come on, grab your cape and let's leave! I demand it!
Francine, aside. Ah! My God! He scares me!
The False Bernard. Who am I speaking to? Let's be on our way!
Francine. Quiet! I hear my father coming!
The False Bernard. Oh! He'll do well to leave me alone, your ass of a father! (Taking her by the arm and dragging her by force.) Are you coming? Don't cry, or I'll hurt the old man!
Scene VIII
The False Bernard, Francine, André.
André, from below. What's going on? Ah, it's you, Bernard! How is it that you are here so fast, then?
Francine. My father…
André. Why aren't you in bed? Quickly, go to your room!
Francine. But…
André. No "buts"! I don't want you to talk back to me. Get out of here and don't return until I tell you to.
Scene IX
The False Bernard, André.
André. And you, I don't know what you told her, but it was a dispute, and if it's like that you begin…
The False Bernard, scoffing and ceasing to appear drunk. I returned all nice, guv. It's not my fault if your daughter has whimsies.
André. My daughter does not have whimsies, and you are a rascal! (Aside.) He has the red band, however. (Aloud.) Look, explain yourself honestly if you can.
The False Bernard. Explain myself? That won't take long. Let's sit down, guv, and open the drawer of your table.
André. Why?
The False Bernard. Just do it.
André, opening the drawer and pulling out shellfish by the handful, which he puts on the table. Well, I find nothing in there but shells that I wanted to keep because they are pretty. And now?
The False Bernard. You call that shells? Have you lost your eyes? Put on some glasses, then, doofus!
André, quickly fascinated upon touching the shells, while the false Bernard, who lit his pipe, makes a green flame spring from it. Doofus, doofus… Oh! It's true, my eyes deceived me. It's coins… silver sous! Am I a fool? Silver sous! I really think I've had a sip too many at Antoine's. Never mind, I see that it's gold!
The False Bernard. Gold! Are they small or big coins?
André. They are big double louis, for God's sake! Blessed Virgin! There's for more than ten thousand francs there!
The False Bernard. Fifty thousand, old chap! Count them, they're in stacks of a thousand packed like sardines in a tin.
André. I'm not saying anything, but… is all that yours?
The False Bernard. Of course it's mine!
André. And… it was acquired honestly?
The False Bernard. Is the right to loot honest?
André. In war… yes!
The False Bernard. Well, there you go, listen.
André. We're on informal terms now? [6]
The False Bernard. It's by friendship, father-in-law.
André, a bit stupefied. Father-in-law! Decorated, fifty thousand francs… I don't know if I sleep or if I'm awake. You were saying?
The False Bernard. Over there, in the war, a pirate fell into our hands. He had three wives — he was a Turk, you see. The captain took the youngest, the lieutenant took the second… The oldest remained, who no one wanted, because she had only three teeth left and one eye, and on top of that she was hunchbacked on both shoulders and limping on both feet… But I, who had understood a few words of their dog tongue… (André remains in a trance before the shells.)
Scene X
The False Bernard, André, The Drac.
The Drac, below, behind the door with a window. What are you doing now, capricious spirit?
The False Bernard. I entangle and entertain, I complicate and dazzle. I trace the dream in the brain of my prey. It's the book in which I paint my fantasy: it's the mirror, I am the image!
The Drac. In what kind of ecstasy are you plunging this old man?
The False Bernard. I follow laws that men cannot divine. It's up to them to find their ruin or their salvation in my caprice; it's up to you to take advantage of it for your designs.
The Drac. That's fine, but hurry up.
André, coming out of his ecstasy, without seeing the drac. You were saying?
The False Bernard. That it was his mother.
André. The lieutenant's?
The False Bernard. The pirate's! You're not listening?
André. But of course, go on! (He falls back into the ecstasy.)
The False Bernard. At the time… (To the Drac.) Where is he, the one whose appearance I've taken?
The Drac. Despite my efforts, he's coming. Make it shorter.
The False Bernard, louder. And, since I threatened to take her…
André. Who, my daughter?
The False Bernard. No, the old woman.
André. Ah, yes! He paid a ransom?
The False Bernard. Just so, there you are! (To the Drac.) And now what?
The Drac. Make him promise you the girl and leave.
The False Bernard, aloud, to André. Thus the affair was hastily wrapped up, and, if Francine wants me…
André. And why shouldn't she want that? Wait! I'll talk to her in front of you.
The False Bernard, called by the signs of the drac. Put that away safely first… It tires me to carry it around and it shouldn't lie around. (Someone knocks on the door above.)
André. Don't open! It's not worth anyone knowing… And I don't take anything into consideration without counting.
The False Bernard. Count, count! (To the Drac.) Let's go! (He leaves with the Drac through the lower door. While André counts the money, the real Bernard knocks again on the door above. André, absorbed, counts the packets between his teeth. Bernard enters.)
Scene XI
André, The Real Bernard.
André, without turning around. Don't open, I tell you!
Bernard, emotional. But it's me, guv!
André. I'm well aware that it's you, but up there? Outside?
Bernard. I didn't see anyone!
André. I see. I thought… Thirty…
Bernard. Oh guv, what joy that my captain allowed me…
André, brusquely. Don't speak to me, you'll make me lose my count! I said thirty… What did I say?
Bernard, surprised. You said thirty… and?
André. That's it, thirty-two… I'm still counting! Thirty-four. (He continues under his breath.)
Bernard, aside. What is he doing, counting seashells like that? Funny way to receive me!
André. Forty! Count with me!
Bernard. As you wish! (They count together until 50, by 2 or by 4.)
André, taking the big shells to be rolls of gold coins. The count is good?
Bernard. Yes. (Aside.) Has the poor old man lost his mind already? Damn it, that would be sad!
André, closing the drawer full of seashells in his sideboard. You see, I put them there.
Bernard. I see! And then?
André. And then, if you want to carry the key?
Bernard. Me? But no, I won't take it. (Aside.) I don't understand anything.
André. So you trust me?
Bernard. Like in the Lord himself! But guv, I came to thank you, and… above all… are… If I dared to ask your permission to hug you… that would bring me such joy!
André. Hug me, my boy, let's hug! I can't ask for better.
Bernard, throwing himself around his neck. Ah! You're the best man on earth, then? You forgive me everything, as quickly as that? Truly, you forgive me?
André. Uh, yes! Of course, since you still love my daughter?
Bernard. Ah, but of course I love her!
André. Well, all three of us have to agree. Come on. (Going to the door of Francine.) Francine! Come on out!
Bernard. Such joy!
Scene XII
André, Bernard, Francine.
André, to Francine. Well, we're agreed, he and I. Are you happy? Embrace each other, I permit at this moment that you love each other.
Bernard, wanting to hug her. Ah! My dear…
Francine, pushing him away. Get away from me! I don't love you any more!
Bernard. My God! Already? Why then?
André. Yes, look, how come?
Francine. Because I no longer hold him in high esteem, because I don't have confidence in him.
André. But, while I was out, what happened then?
Bernard. This afternoon? But nothing! She forgave me too.
Francine. The first time, yes; but the second time!
Bernard. The second?
André, to Bernard. You've been here twice today then?
Francine, to Bernard, before he can respond. Save yourself the pain of lying, I don't want to hide anything from my father.
André. You don't have to hide anything from me. Whether he came by two or three times, it matters not to me, if his intention is good. Otherwise…
Francine. Otherwise, you must not get angry, my father, you must scorn that, and beseech him to leave us alone.
Bernard. Francine, it's like that you speak to me? But my God, what's the matter?
André. Yes, what's the matter? Has he given you some insult? Go on, you must tell! I'm not yet too old to endure it without balking!
Francine, frightened. No, no, my father, it's not that!
André. Then… what is it? It's a whim you've had?
Francine. Well, yes, my father! It's a whim that I had! (Aside.) At least, like that they won't fight each other.
André, approaching Bernard, who has sat down consternated. Do you understand any of that?
Bernard. Yes, guv? I understand that she doesn't love me, that she has never loved me!
André, to Francine in anger. Here now, young lady! Listen here. I won't hear of you refusing.
Bernard, getting up and seizing his hand. Oh! Guv!
André, angry. Let me go! I want her to obey me!
Bernard. You want her to marry me against her wishes, and you believe that I would accept the girl without the heart?
André. To whom has she given her heart? (To Francine.) Answer! To whom?
Francine. Father, I'm going to tell you everything, there, in your room. Come!
André. Well, that's it. Confess, miserable wretch, or I'll knock you out! Wait for me here, Bernard! (He leaves, entering Francine's room [7].)
Francine, following him, speaking quickly. No, Bernard; leave! When my father knows how you acted with me, he will pick a quarrel with you. You seem to have sobered up… leave! You wouldn't want to…
André, from inside. So are you coming? (Francine enters her room.)
Scene XIII
Bernard, alone. I don't understand anything! It's driving me crazy! Leave? Back off from an accusation that I don't deserve? Oh no! I've deserved too much which I didn't care about enough [8]! At present, I care about my honour. There is some lie here… I must know… What can it be, then?
Scene XIV
The Drac, Bernard.
The Drac, without being seen by Bernard. So I wasn't able to stop his return! The wave refused to swallow up the ship which brought him back, the wind didn't want to tear the sail! The elements no longer listen to me. Nothing obeys me, and Satan, the mysterious adversary, hasn't deigned to respond. (Watching Bernard.) But the vision has managed to trouble his happiness. Stricken, sorry, perhaps he belongs to me! Let's try. (He remains below, close to the window. The wind sings outside in a gloomy way.)
Bernard, standing close to the table, absorbed. To say that I insulted her, me! But to believe that, you'd have to… Ah! My poor head! What a bad dream!
The Drac. Woe, woe, three times woe on he who has wounded the pride of woman! Woman remembers and takes revenge; she takes revenge while feigning caresses. You return to her, you believe yourself absolved because she smiles and promises! It's then that, sure of making you suffer, she tramples you underfoot and breaks you. Too bad for you, Bernard, you shouldn't have given up Francine! Woe, woe, three times woe on he who believes he can make amends for a guilty past! He invokes in vain the justice of men and the bounty of Heaven. In vain! Heaven is deaf, men are blind! Eternal damnation or eternal void, there is your future for you, senseless creature who believes himself able to aspire to infinite happiness! Woe, woe, three times woe on he who wants to fight against a fatal destiny! His vain efforts only serve to prolong his torment. Virtue, devotement, atonement, three lying words which embitter suffering! Bernard, Bernard, there's not far from here to the deep sea! Oblivion is there, repose is there, there is the end of human miseries!
Bernard, with a wild look. The sea! Oblivion, rest… The wind is truly sad this night! It sings songs to drive you mad! It speaks words to make you give yourself to the Devil! The Devil! He alone, you'd say, involves himself in our affairs!
The Drac, unable to contain his joy. Yes, the Devil, the Devil! The sponsor of those who believe in evil!
Bernard. Ah, but these are real words I hear! I'm not dreaming. (He turns around and sees the Drac, who changes attitude and expression just as quickly.) So, it's you who's there, little one? What were you just saying?
The Drac. Me? Nothing. What do you want that I should say?
Bernard. I want… yes, I want you to tell me the truth, because you know it.
The Drac. Which truth?
Bernard. Oh, you insinuated it this afternoon!
The drac. Insinuated? No, I told you clearly that Francine doesn't love you any more.
Bernard. And you were afraid of saying too much. You ended up mocking me by pretending to be the lover…
The Drac. Oh, that! It was a joke.
Bernard. You don't need to say it; but I'm not laughing right now, and I forbid you from joking. What's his name, the lover of Francine? Go on, quickly, tell me!
The Drac. What's his name? I don't know.
Bernard. You lie!
The Drac, frightened. If you get angry…
Bernard. Yes, you'll run away? Come on, have no fear.
The Drac, insinuating. You want to kill him, no?
Bernard. Kill him? Certainly not. To kill a compatriot, a comrade perhaps, because Francine… Ah! I had earned that, and must submit.
The Drac. You don't want to take vengeance? Then why do you want to know?
Bernard. To know, that's all. But you, how do you know?
The Drac. Francine told me.
Bernard, talking to himself, aloud. So let her say it to me too! Instead of unjustly accusing me, may she at least give me her esteem, may she have confidence in me! Yes, I'll wait for her. Yes, fine, I'll speak to her! I have to be an honest man and a true friend above all. I have to let her speak, I must not stop her from being happy… happy with another! (He hides his face in his handkerchief.)
The Drac, aside. What! I can't push him either to despair, nor vengeance! What power arms him like that against me? What is there then of such power in the heart of man?
Bernard, wiping his eyes. There, it's said, it's decided, I will do my duty. I will speak to her before her father, say my goodbyes to her… Get away from there, little one! (The Drac has gone to place himself against the door by which André and Francine left.)
The Drac. No, listen! Francine accuses you, but her father resists. He says that you're rich.
Bernard. Me? But no!
The Drac, still listening. He believes it! And besides, you're decorated. His vanity is flattered by it. He'll force Francine to marry you.
Bernard. Force her? No, no! I'm coming. Get away so I can go tell them…
The drac, bringing him back to the middle of the scene. What will you tell them? That you submit, that you forsake…
Bernard. Yes.
The Drac. Ah well, the old man will beat his daughter; he'll perhaps kill her!
Bernard. What are you saying? He's not capable of that!
The Drac. It's been a long time since you saw him? He's become almost crazy.
Bernard. Ah! So that's what it was earlier…
The Drac. Besides, Francine is fearful; she'll yield, she'll marry you… and she'll cheat on you!
Bernard. No, Francine is a woman of her word.
The Drac. Then she will die of grief.
Bernard. Ah! That's the worst! What to do then?
The Drac. You must not see her again, you must leave, and write to her that it's you who don't want her. Like that, her father will leave her alone.
Bernard. It's true. You're not half stupid! But me, I am too wretched! Let's go then, I'll leave, I'll write tomorrow. (He wants to leave.)
The Drac. No! Right away.
Bernard. With what? I don't have anything.
The Drac, running to the fireplace. Here! A piece of coal… on the wall.
Bernard. Here we go! (He writes.) "Francine, farewell!"
The Drac. It's not enough.
Bernard. What do you mean, it's not enough?
The Drac. No, her father must believe it comes from you.
Bernard. What to put? (Writing.) "I…"
The Drac. I'll forget you!
Bernard. It's not true.
The Drac. That's the point!
Bernard, writing. "I'll forget you!" There it is. Woe!
The Drac. Now, sign it and leave.
Bernard. It's done, but never in my life have I written such a lie! Oh Francine, I'll die of it, it's sure. Woe! Oh woe! (He leaves.)
Scene XV
The Drac, alone. Yes, three times woe, as in your dream. But that which you've been so feeble to write will not suffice for my vengeance! (He makes appear on the inscription, instead of the words I'll forget you, the words I despise you.)
Third Act
First Scene
The Drac, alone. It is night. Noise of the wind and the sea. No lamp is lit.
Gloomy night, you delighted the drac on powerful wings! He loved to let himself be cradled by the storm, to play with the capricious forms which the foam drew in front of the waves. His gaze was a meteor, his voice a harmony, his breath a perfume, his thought an ecstasy! And here it is that, feeble and little, abandoned by his brothers, hated by men, he suffers a fatal passion! Oh king of elves, sovereign of the deep grottos, father of all free spirits of the sea, have pity on the wretch who implores you! Return his ethereal form to him, return to him his indefatigable flight, return to him the serenity of his immortal soul! Deliver him from this scrawny body where his divine essence is locked up in a prison! But he doesn't hear me, he can no longer hear me! I no longer know the mysterious tongue which glides upon the waves from one horizon to the other. My voice no longer reaches beyond the walls of this cabin, and, when I yell on the shore, the smallest wave speaks louder and better than me. Oh torment of impotence! Horror of darkness! My sight no longer pierces the veil of misty nights, the star no longer smiles at me from behind the cloud, and, if I still perceive a few spirits carried on the gust, their gaiety dismays me and their pale faces frighten me! Ah! Light!
Scene II
André, The Drac.
André, leaving his room with a light. You're here? So you didn't go to bed, or you've already gotten up?
The Drac. Don't you know the time, boss?
André, looking at the cuckoo clock. Five in the morning!
The Drac. And you didn't sleep! All night you've tormented, scolded, questioned, menaced Francine!
André. What's that to you? You're listening at doors, now?
The Drac. No, but you spoke so loud and the walls are so thin that I heard it from my bed of straw whether I wanted to or not.
André. You shouldn't be listening. D'you know? For a long time I've suspected something that doesn't sit well with me…
The Drac. What's that, boss?
André. You allow yourself to think of Francine, and that's no good at your age! It's too early… Besides, you're nothing but a little vagabond, and I won't hear of it… Enough, you hear me?
The Drac, aside. Ah! Nicolas loved Francine… a different kind of love than mine! And now I love her like he loved her!
André. What are you thinking about? Look, you have to go out to sea.
The Drac, with a start. To sea? Ah yes, to fish again!
André, rudely. Every day!
The Drac, preparing a lantern and some rods for fishing shellfish. Let's go, boss!
André, sitting down, aside. It's too late to go to bed, but an all-nighter like that, at my age… (He leans over the table. Aloud.) Say, you didn't see Bernard leaving, did you?
The Drac. Yes, I saw him!
André. What did he tell you?
The Drac. That he would never return!
André, slamming his fist down on the table. Woe! It's Francine's fault! (Aside.) When I think that he has fifty thousand francs in beautiful louis d'ors, that he left them in my care, that they are there, and that they could have been ours, if Francine had wanted! Ah! (He falls asleep.)
The Drac, who heard him and approached furtively. Gold, lots of gold! It's the dream of the poor! Old man bent by fatigue, you're going to die under your roof of reeds, still content to have been able to gather a little debris to construct your house next to the abyss. The winter wind shakes your poorly sealed door, the rain pours against your smoky windows… and you could buy a villa on the plain, far from these black reefs, dream beneath the trees of your garden…
André, dreaming. Linden trees, apple trees…
The Drac. Yes, that's the dream of he whose only horizon is spiny bushes, gaunt rocks, black-needled pines! With gold, you have everything: flowers, a lawn, white walls of a pretty domain, with a green bank beneath the arch of yellow jasmine, and afar, very far, the blue horizon of the sea, the old fantastical, recalcitrant mistress become the friend of old age's memories!
André, dreaming. And, in the dining room, images in colors that show plainly…
The Drac. The shipwrecks from which you've escaped, the disasters you no longer fear.
André. Ah! Yes, yes… Rich!
The Drac. Well, you can be. Bernard left you a treasure no one knows about! Bernard has left in a fury, his head lost… When he returns, you can tell him: "What money did you leave me? Where are the witnesses? Where's the proof?"
André, shaking and getting up. No! Oh no, I've never! Ugh! There's a wicked dream! It's not nice, all that. Did I sleep? (Seeing the Drac.) Ah! You're still there, loafer?
The Drac. You dreamed so loud, boss. You said…
André. That which is said in your sleep, it's nothing, it's hooey, it doesn't count! Let's go, are you ready? I'm going to help you down with all of that. (He loads up on fishing tools.)
The Drac, aside. Ah! Still failing when I speak to their soul! I can achieve nothing except through lies! (Aloud.) Say, boss, why do you miss him so much, this mean Bernard?
André. He isn't mean.
The Drac. Oh, but by golly, he is! Just look at what he wrote there, on the wall, before leaving?
André. There's something written there? I didn't pay attention. What is it? Tell me! I don't know how to read!
The Drac. If I read it for you, you won't believe me, but ask Francine. There she is.
Scene III
André, The Drac, Francine.
Francine. Father, you must rest. You'll end up sick!
André. It's not that bad! What's written there?
Francine. There? Francine, goodbye! I… I despise you! (Falling on a chair.) Ah! You see how he's reformed! You see how he loves me!
André. And it's signed?
Francine. Yes, it's signed.
André, throwing the basket he was carrying. But… that's an insult!
The Drac, in a low voice. And if you support that, your daughter herself is going to despise you!
André, aloud. I won't support it; I'll go find him at his ship, and, before the whole crew, I'll tell him that he's a craven!
Francine, getting up. Father, he'll kill you! He threatened to do so!
The Drac, in a low voice, to André. Say nothing in front of her, and go. I saw Bernard descend to the shore and enter Antoine's. He will surely have slept there, you'll take him on the bed. Antoine will support you.
André, in a low voice. Yes, you're right, come with me.
Francine. What did you whisper? Where are you going, father?
André. I'll embark with Nicholas to fish.
Francine. And you're not going to…
The Drac, in a low voice, to Francine. No, no, I'll answer for him.
Scene IV
Francine, alone. Oh, I don't trust that one's word. My father has a bad idea! I was wrong to tell him… And Bernard has some idea to do us harm too, because I saw him from my window. He didn't leave… He walked by the big rock. (She goes downstairs.) Ah! I see him. It's him, I'm sure of it. Well, I must speak to him, I must approach him with kindness if I can, or I must scold him without fear; at least I must prevent a misfortune. He doesn't see me or he doesn't want to see me… Bernard! My God! Let's hope my father doesn't hear me! No, he is already far away. Bernard! He's seen me, he comes, he runs. My God! My God, what am I going to say to him?
Scene V
Bernard, Francine.
Bernard. I didn't dream, Francine? You called me?
Francine. Yes. Listen to me. You don't love me, or you love me very poorly, like only a man without kindness and without religion can love. You tricked me the first time. I took you at your good word. You returned within an hour, and what you proposed to me, it was repugnant, do you hear?
Bernard. Slow down; let me speak too, Francine. I returned because your father asked me to, and I only saw you there in front of him, after having spoken to him; so I can't have offended you in any way.
Francine. If you don't remember what you say or the people you speak to, how can we get along with you?
Bernard. If I didn't respect you like I respect my sister, I would say that it's you, Francine, who dreams of things that aren't.
Francine. Bah, it's useless to speak to you. No doubt the wine makes you forget one moment from the next.
Bernard. Wine? I've taken a pledge, a year ago, to no longer partake, nor other things that make you lose your reason, and I've kept my word, I swear it!
Francine. You weren't drunk when my father returned?
Bernard. Before God, no!
Francine. And you didn't want to take me away by force? And you didn't threaten to kill my father, if I called him?
Bernard. On my honor and on yours, Francine, no! On your mother's soul, no! By God's justice, who will perhaps come to my aid, no!
Francine. And you didn't write that you despise me.
Bernard. Never!
Francine, showing the wall. But look!
Bernard. Ah! I never wrote that word! I was told that you loved another, that your father wanted to force you to marry me; I gave in, I give up. It'll drive me mad or it'll kill me, that's my concern; but, from the day I left the country until the moment where we are now, I've done no ill, Francine, and I've loved you like a man of honor must love a girl of good. I was a fool back in the day, and sometimes even, while in the wine, a raving lunatic; but I've never been a craven! No, recall! When your brother came to reproach me for my conduct, it was at the tavern. He had been drinking too, and we didn't recognize each other. When I failed your father and became a disappointment to him, it was because he had pushed me over the edge at a moment where I was dealing with the grief — because I was grieving, as you well know — from leaving you. I have always said I loved you, it was the truth. I always swore that I would return — and here I am returned — and that I wanted to keep my word to you, and I would have kept it! From afar or near, in the wine or with senses intact, I've spoken and thought of you and your mother as of two of God's angels! No, no, never have I had a single thought of betraying you! I wanted to serve my country… of course, in time of war… If you were a man you would understand that. I've never been a bad subject before, you know that. I became one to distract you from your loss and mine, and that only lasted three months of all my life! No sooner aboard, I was healed, I was wise, and I was in love with you like in the past. I no longer thought of anything but returning with great honor to please you, and I would have gone looking for my cross at the very bottom of the sea, if I had not been able to catch it in the middle of the fire where I found it! All that, it was for you, Francine; but what does all of what I'm saying now serve? You no longer believe me, that is to say you no longer want to believe me. You invent faults that I don't have. All that, you see, I don't want to tell you it's bad; but it's useless. You were in your right to forget me and even to take revenge on me. I have nothing to say. The punishment is great, I must know how to endure it. I didn't want to see you anymore, Francine, you called me… well, receive my farewells; I leave forever! Only, let me erase that: it's some evil heart who has invented that so that you will despise me! (He erases the words on the wall.) There is someone very craven here! Oh yes, it's cowardly to finish off a miserable wretch like that. [9]
Francine. Wait, listen. Who told you that I love another?
Bernard. Ah, what does it matter, now, who told me?
Francine, forcefully. It's the drac?
Bernard, dispirited. The drac? Which drac? Where do you get the idea of the drac?
Francine. You don't believe in that?
Bernard. I believed it when I was a child. It's stories like the ones people from the coast tell!
Francine. And on the sea they don't tell other stories? Listen to me: my father believes that, on ships, in dirty weather, when you are twelve, you suddenly see a thirteenth who didn't embark.
Bernard. The thirteenth? It's true! I've seen him, once!
Francine. Well, how did he appear, the thirteenth?
Bernard. Like Michel the helmsman. Poor Michel! We left twelve, we found ourselves thirteen at sea! Upon returning, we were only eleven, Michel had followed his double to the bottom of the sea.
Francine. So you say it was his double?
Bernard. Yes, the one you see like that, it's always the double of one of those who are on board… But what does all that matter to you, Francine?
Francine, forcefully. You know … say it! [10]
Bernard. Francine, did you see my double today?
Francine. Yes, I saw it!
Bernard. Where?
Francine. Here, and he's the cause of everything, I'm sure of it; since I can't doubt you after the oaths you just made, you see, and I'd rather believe things I'd never wanted to believe! Oh Bernard, you too, you have seen an evil spirit who tricked you, because I have never loved and I will never love anyone but you!
Bernard. Francine, my dear Francine! Ah! You speak the truth, yes, I believe you, and now, I would die!
Francine. Die? Why, my God?
Bernard. So you don't know that, when you see your double, it's a sign of death within the next twenty-four hours.
Francine. But you have to see it yourself, and you didn't see it! Tell me, Bernard, you've never seen it?
Bernard. No; but if I were to see it!
Francine, forcefully. Don't stay here. If he returned!
Bernard. Oh, when those things appear, there's neither earth nor sea that can stop them!
Francine. Certainly! There's the Lord's house. Go, Bernard! Go quickly!
Bernard. Where then? To the little chapel? I wanted to go there earlier, but I didn't have the heart to pray.
Francine. You must return there. It's the Lady of the Sea, it's the patroness beloved by mariners of the place. You will make her a vow.
Bernard. Which vow?
Francine. The vow to pardon the first miscreant who offends and hurts you.
Bernard. So be it. But you?
Francine. Me, I'll explain all that to my father and make him return from his anger. And then I will go seek the priest. I'll make him bless the house and the path; since, to be sure, our poor house is haunted! And, when all that is done, when I no longer fear anything, I'll put the white handkerchief where you told me to put it. Go quickly! I await my father who is climbing back up from the shore.
Bernard. Tell me again that you love me!
Francine. I love no one but you! (He leaves.)
Scene VI
Francine, alone, below, looking along the shore. It's not my father… it's that mean drac! It's he who wants to bring woe to our house! What to do against him? Pray to the Lord; yes, there's only that. (She kneels down.)
Scene VII
Francine, The Drac.
The Drac, agitated. What are you doing, Francine? Get away from there!
Francine. No; I ask for aid against you, and I will have it!
The Drac. Who are you asking for help?
Francine. He who you do not know.
The Drac. I do know Him… At least I knew Him before being a man; because, in all of nature, it is only man who dares and knows how to deny God!
Francine, getting up. You speak His name, and He doesn't burn your tongue? So you're not…?
The Drac. No, I am not the spirit of Evil. That spirit, Francine, only exists in the imagination of your kin.
Francine. And why is he in your heart?
The Drac. What, are you telling me he's not in yours? Ah yes, I remember when I was saintly enamoured with you, it's the purity of your soul that charmed me. Oh Francine, I was your guardian angel's brother!
Francine. And you've become the brother of the evil one?
The Drac. No, I've became human!
Francine. Well, if you've become what you say, you can still be saved. I'm going to pray for you.
The Drac. Where are you going to pray?
Francine. In the room where my poor mother died, next to her bed. When I am there, I imagine that I see her and that we pray together the two of us; that's why I pray better there than anywhere else.
The Drac. And what will you ask for me?
Francine. That the Lord takes from you the will and the power to do evil.
The Drac, emotional. Ah well, go, Francine, and pray with all your heart. (She enters her room.)
Scene VIII
The Drac, then the False Bernard, invisible.
The Drac, watching Francine. She prays for me! She loves me, then? No, it's for Bernard that she prays and asks of Heaven to heal me. Ah! Perfidy of woman! I won't be your dupe! (He closes Francine's door.) I no longer know any pleasure but vengeance: so be it! Phantom, to me!
Voice of the Phantom, beneath the earth. I'm here!
The Drac. Where is Bernard?
The Voice. Close by.
The Drac. When the mariners see their double, fear makes them die?
The Voice. Yes.
The Drac. Go find Bernard!
The Voice. No!
The Drac. Show yourself to him, I demand it.
The Voice. I can't.
The Drac. Why not?
The Voice. He is guarded!
The Drac. By whom?
The Voice. By prayer.
The Drac. Which prayer?
The Voice. Love's.
The Drac. Francine's?
The Voice. As you say!
The Drac. Go away and don't show yourself again.
The Voice. Perhaps.
Scene IX
The Drac, alone. Perhaps? What does that mean? The visions themselves resist me, and I am no longer the king of mirages? Yes, I see, man has only one force, hate or love; but these forces are great, and I feel them develop in me. Oh! Every moment that passes washes me of a divine ability and brings me a baneful instinct! So, you must perish, Bernard, and even without the aid of this feeble hand, it is my will that will kill you.
Scene X
The Drac, André.
André. Well, are you ready? We're leaving.
The Drac. You still want to go aboard the Cyclops?
André. Yes.
The Drac. Ah well, you're making a mistake, boss, he is very close by.
André. Ah! Where?
The Drac. When you are ready to receive him, I will make him appear.
André. Do it quickly; I'm ready.
The Drac. No, you're not the strongest.
André. You will aid me.
The Drac. You've really decided to kill him then?
André. Kill him… me? It's serious to kill a man and a mariner of the state! I'll beat him around the ears, that's all.
The Drac. He'll crush you like a fly.
André. I don't care.
The Drac. He already beat you in the past, and he almost killed your son, who was twice as strong as you.
André. That's why! That's been weighing on my heart for such a long time!
The Drac, insinuating. And then he is rich, and the money is there…
André. Ah! You remind me of his loot. (Going to the armoire.) I first want to return that to him; I don't want him to believe… I want to throw all of it in his face! What's that? Sea shells? (He empties the contents of the drawer and remains stupefied.)
The Drac, laughing. He played you a good one there, boss.
André. He makes fun of me!
The Drac. He made himself out to be rich, and he has nothing!
André. But, I saw the double louis.
The Drac. Were you sober?
André. No, I had drunk a bit of rum at Antoine's, but…
The Drac. Then he's going to reclaim his money later!
André. It's not difficult to return it to him.
The Drac. He'll say that it was gold, and that you've stolen it.
André. He'll say that? He'd treat me like a thief, me?
The Drac. He's only done it to insult and dishonor you.
André. By the gods! If that's his idea, I'll have to kill him!
The Drac, aside. There we go! (Aloud.) How? With what?
André. I don't know, it doesn't matter to me…
The Drac. If he kills you?
André. If he kills me, the law will kill him.
The Drac, jumping for joy. Ah well, wait!
André. What is it?
The Drac, at the bottom, placing the signal. It's the signal agreed by Francine and him.
André, going downstairs. How do you know that?
The Drac. When he came here the first time, I was hidden there, and I heard.
André. I understand, yes. Well, is he coming?
The Drac. There he is, take heart!
André. I don't need courage, I've got this.
The Drac. Throw yourself upon him, quick, before he has had time to know what's going on.
André. Yes, yes! You'll see!
Scene XI
The Same, The False Bernard.
André, wanting to tear off his cross. Miserable wretch, you're not worthy of wearing this! (He falls back as if pushed by a magical force.)
The Drac, to the spectre. Hey, it's an insult! Strike! (To André.) Your turn then!
André, to the spectre. Craven! You're a craven! (He wants to throw himself on the spectre again and is going to fall as if thunderstruck a few steps from him.) Ah! He has a charm, the craven!
The Drac, to the spectre. Which magical power have you invoked then? Answer! Have you made a vow of silence? Have you made a pact with…
The False Bernard. Is His power not greater than that of Evil?
The Drac. Oh, so you think… And you want to fight against me! So be it; the energy comes to me… Hate reenergizes me… You dare measure yourself against the drac…
The False Bernard, stepping back. No.
The Drac. Ah! You finally know me again? Yes, you flee from my gaze… you tremble! (To André.) Your turn now!
André, getting up. Oh my God! Ah! He almost killed me! (The day dawns, the spectre disappears through the window.)
Scene XII
André, The Drac.
André, yelling. Ah!
The Drac. The precipice! He's lost!
André, running to the window. Is he mad?
The Drac. No, Hell protects him; he's pulling himself back up, he crawls… he gets up! A miracle! He has crossed the abyss, he flees; he taunts us, he threatens us!
André. Ah, demon! If I had…
The Drac. What? A weapon? Here! (He takes a pistol from the wall.)
Scene XIII
The Same, Bernard, Francine.
Bernard appears above the stairs at the same time that André fires on the spectre through the window. It is day.The Drac, without seeing Bernard. Fallen?
André. Yes.
The Drac, watching with joy. Bleeding, dying, disfigured!
Bernard. Who?
André and the Drac, together. Bernard! Him!
Bernard. But yes, me! Didn't you give me the signal?
André. No, it's not him, it's a phantom!
The Drac. Yes, yes, the ghost! Bernard is no more, look! Look, Francine, he is there, broken… The one whose hand you hold is a spectre!
Francine, with enthusiasm. No! I hold it firmly, his loyal and honest hand! My mother prayed for him, and for you too, poor drac; you're going to be delivered, I'm sure of it!
The Drac. No.
André. The drac! Bernard! A double!
Francine, stopping Bernard from going to the window. Don't look, Bernard!
The Drac, at the window. He's no longer there, the dream has evaporated at first light of the sun. The sun! It comes, it rises, it dissipates the terrors of the night, and until tonight I can no longer evoke them!
André. Leave here, evil thing!
The Drac. Let go, let go of me! I am chastised enough for today: my power has turned against me, and I have been the toy of the spectre who should have obeyed me; but the rest of you have no power against me, and every night I'll come and trouble your celebrations and poison your joys. The first-born of your love belongs to me. I will trouble his mind, I will take his soul! Francine, you will weep upon a cradle, you will cry tears of blood!
Bernard, menacing. Wretch! Go on, leave!
Francine, holding him back. Your vow, Bernard! (The Drac falls to his knees, as if exhausted.)
Bernard. It's true, yes; but look how he's growing pale! His eyes are fading…
Francine. Is he leaving, could he die?
The Drac, fighting an invisible force. No, it's this embraced soul who escapes… The body wants to fight, it will fight… What then? The sea calls me! No, I don't want to! I will stay here… I… Oh earth, keep me! I am not avenged! Ah! The sun! Terrible light! Pity! The sea… God! (He flees.)
Scene XIV
André, Bernard, Francine.
Bernard, following him downstairs. He flees, he leaves us… he takes off, one would say… yes. My god, how he changes shape!
Francine. I no longer recognize him: he's like an angel!
Bernard. No, he's a cloud.
André. No, he's vapour.
Bernard. And now he's nothing!
Francine. Nothing? Of course, he's a soul who has sinned and who suffers! Let's pray for him. (She kneels down. André too.)
Bernard, standing. God in Heaven, you who are great and so strong. Poor folk like us, who don't know anything, but who know you by your goodness. I made a vow this afternoon, which was to pardon even the Devil — though perhaps the Devil, it's an idea that we have, and perhaps Hell, it's our bad behaviour and our evil heart! Whether it's that or something else, you're there to heal us, and as for pardonning that which I have done, you're not embarrassed to do so! Mercy, my dear God, mercy for the spirit of the beach!
Francine. Yes, he was a good spirit who wanted to do bad and who couldn't do it! Mercy for him, my God, and for this poor house where we love you!
Voice of the Drac, far away behind the rocks. Goodness, light… Oh my golden wings, oh my pure soul, I find you again!
Francine. Ah! Listen how the breeze from the sea sings softly! You'd say like words!
Voice of the Drac. Charming wave, superb reefs! Good fishers… friends, brothers! Freshness of the morning, soft awakening! Work, love, innocence! Oh ineffable freedom!
Bernard. Is it he who sings like that?
Voice of the Drac. Happiness to all creatures! Francine, happiness to you! You've returned my wings to me…
Francine. Listen.
Voice of the Drac. Francine, be forever blessed!
Bernard. Ah! Don't fear anything any more. My father, my wife, we will love each other so much, that all the spirits of Heaven and Earth will be with us!
Notes
The following is George Sand's own note on the text.
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^ It would have been necessary, in order to achieve the local color, to make my characters speak their dialect or southern accent, hard as the rock and roaring like the squall. Far be it for me to thumb my nose at so characteristic a harmony; but all readers would perhaps not have been as ready as me to accept this impression of a particular setting. I have occasionally been able to make folk from the center of the country accept an imitation quite faithful to the Old French language; but the drac is a Provençal tradition, and all I could do was stick to expressing myself in the most familiar and widespread way among all classes of people in France. So I won't be given, I hope, any pedantic critique if my popular characters allow themselves all the improprieties that come naturally to them. I've sought the enduring contrast between lyricism and triviality. If I am blamed for it, I will remind critics that artists sometimes have the right to respond: "I did it on purpose."
The following are my own notes on the text and the translation.
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^ I debated translating the word fantastique to "fantastic" or "fantastical". However, Fantastique is a specific genre in French literature, which I believe is closer to the intention here.
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^ Trilby; or, The Fairy of Argyll by Charles Nodier.
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^ The Carnac stones in Brittany.
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^ I'm struggling to make sense of this short exchange. Normally, and based on Francine's reaction ("How can you say that?"), André's first line would be understood as "If I fell, what would you care?" But his next three lines suggest that his first line should be understood more literally as "when I fall, what will that make you?". However, in that case Francine's reaction seems strange, unless I'm missing something.
Likewise, when André says "[A girl] who mourns a nobody", the nobody in question is obviously himself, so he's being self-deprecating? But Francine's next line seems to point this out as if he didn't realize that he just called himself a nobody, which is what makes him angry and tell her to not talk back.
In short, the whole exchange seems strange, and I'm not sure I've really understood what the author intended.
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^ This sentence is grammatically ambiguous: the literal translation could be either "ever since I am her equal" or "his equal", referring either to Francine or Bernard. I think, from context, that it should be "his", but I could be wrong: the Drac notes that he loved Bernard because Francine did, because the drac picked up on her emotions previously, but now that he's a boy (Bernard's "equal"), he's wondering if he must then hate Francine.
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^ This is a nuance that simply can't be conveyed in English. In the French original, the false Bernard uses a familiar form of the verb "to listen", which is a change in formality that André notes, but which has no equivalent in English. In fact, in English, the false Bernard has been rather informal the whole time.
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^ There's some confusion about whether it's Francine's room or her father's. This seems like an error in the original.
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^ I'm struggling to make sense of this. I think the meaning is that he could be accused of a lot, and he wouldn't care because it would be deserved, but in this case he does care because it's not deserved.
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^ I think I've teased apart this giant wall of text, but some parts of it still don't quite seem to make sense to me. Bernard in particular seems to have a tendency to get very verbose and difficult to decipher.
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^ I'm struggling to make sense of Francine's line here. The literal translation is "Say still, say!" or "Speak still, speak!" I assume the meaning is something along the lines of "You already know what I'm getting at, so say it."